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mine ; les vivres manquaient, et il fallut manger les chevaux. À mesure qu’un cheval tombait sur la route, les soldats, avec leurs couteaux, se taillaient des grillades dans ses cuisses et les faisaient rôtir quand ils pouvaient trouver du feu, ou même les mangeaient crues quand le bois manquait. Dans notre marche jusqu’à Wilna, ce fut notre meilleure nourriture ; moi, comme les autres, je ne mangeai que du cheval. Nous faisions de petites journées ; l’empereur était avec nous et tout son état-major. Ceux de nos braves officiers qui n’étaient pas démontés lui faisaient escorte de chaque côté de la route, ainsi que la vieille garde. Quant au reste de l’armée, tout était démoralisé. On marchait comme marchent des prisonniers ; il n’y avait plus d’ordre, plus de discipline ; chacun suivait par instinct celui qui le précédait. Au moindre obstacle qui faisait trébucher un homme, il ne pouvait se relever. Nous étions obligés de faire d’horribles grimaces pour agiter les muscles de notre figure et empêcher les terribles effets de la gelée. Dès qu’un feu était allumé, c’était à qui s’y précipiterait. On se battait, on écartait ceux-là même qui l’avaient préparé, les laissant mourir de froid à quelques pas derrière. Personne ne conservait ni sensibilité, ni humanité. L’égoïsme le plus affreux survivait à tous les sentiments ; et néanmoins pas un murmure contre l’empereur, pas une plainte !

Durant le trajet de Moscou à Wilna, je fus envoyé près du général Claparède, chargé de la conduite des