Page:Coignet - Aux Vieux de la vieille, 1853.djvu/170

Cette page n’a pas encore été corrigée
160

dent imprévu se retirèrent vers Kœnigsberg, abandonnant leur grosse artillerie, et de nouveaux cadavres s’accumulèrent dans la plaine. — Quel champ de bataille que ce champ d’Eylau ! ce n’était partout qu’un cri de douleur ; on ne peut s’en faire une idée.

Le lendemain de ce jour funeste fut consacré à ensevelir les morts et à porter les blessés à l’ambulance ; nous nous acheminâmes vers le village. De tous côtés la neige était massée sous les pas des hommes et des chevaux. De tous côtés des hommes gisaient étendus.

On creusait d’énormes fosses, de véritables tranchées qu’on remplissait de cadavres, et que l’on couvrait ensuite de terre, si bien que la plaine était toute semée de buttes funèbres, que nous retrouvâmes l’année suivante encore visibles et fort apparentes. Nous enterrâmes ainsi le 14e de ligne tout entier et le colonel sur son régiment.

Pendant que nous accomplissions ce triste devoir, nous étions exténués de faim, de fatigue et de froid. — Heureusement, vers midi, arrivèrent de Varsovie des tonneaux d’eau-de-vie qu’amenaient des juifs avec une escorte de grenadiers. Les choses furent disposées pour que chacun pût boire à son tour et qu’il n’en résultât aucun désordre. On mit un tonneau devant nous debout et défoncé ; à côté, deux grenadiers tenaient un sac. Nous avancions six par six ; chacun en passant laissait tomber un écu de six francs dans le sac, et puisait un verre dans le tonneau. Mais défense de re-