Page:Coignet - Aux Vieux de la vieille, 1853.djvu/164

Cette page n’a pas encore été corrigée
154

déblayer le terrain pour établir notre bivouac. On traîna les corps morts sur le revers de la montagne et l’on porta les blessés dans une maison isolée située tout au bas. Malheureusement, la nuit vint, et quelques soldats eurent si froid, qu’ils s’imaginèrent de démolir la maison pour avoir le bois et se chauffer. Les pauvres blessés furent victimes de cet acte de frénésie ; ils succombèrent sous les décombres.

L’empereur nous fit allumer son feu au milieu de nos bataillons ; il nous demanda une bûche par chaque ordinaire. On s’en était procuré en enlevant les palissades qui servent l’été à parquer les bestiaux. Il nous demanda aussi des bottes de paille pour s’asseoir et quelques pommes de terre ; nous lui en portâmes une vingtaine qu’il fit cuire lui-même dans le feu, les remuant par intervalles avec le bout d’un bâton, et les partageant avec son état major.

De notre bivouac, je voyais parfaitement l’empereur, et il voyait de même tous nos mouvements. À la lueur des bûches de sapin, je faisais la barbe à mes camarades, à ceux qui en avaient le plus besoin. Ils s’asseyaient sur la croupe d’un cheval mort qui était resté là et que la gelée avait rendu plus dur qu’une pierre. J’avais dans mon sac une serviette que je leur passais sous le cou ; j’avais aussi du savon que je délayais avec de la neige fondue au feu, Je les débarbouillais avec la main, et je leur faisais l’opération. Du haut de ses bottes de paille, l’empereur assistait à ce singulier spectacle, et riait aux