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artillerie était arrivée au pied de la terrible montagne, et ne pouvait la gravir. Il fallut élargir le chemin et couper les roches. L’empereur se rendit sur les lieux, dirigea lui-même les travaux du génie, et ne s’en alla qu’après avoir vu passer devant lui la première pièce de canon, attelée de douze chevaux. À chaque voyage on montait quatre pièces, et on les mettait de suite en batterie devant notre front de bandière. Puis on retournait avec les mêmes chevaux, au pied de la montagne, en atteler quatre autres ; une partie de la nuit fut employée à ce pénible travail.

L’empereur nous permit de faire deux ou trois feux par compagnie, et autorisa une vingtaine d’hommes, aussi par compagnie, à se détacher pour aller chercher des vivres. Le voyage n’était pas long. Nous aurions pu jeter une pierre du haut de notre campement dans la ville d’Iéna. Toutes les maisons étaient désertes, nous ne craignions aucune résistance. Nous trouvâmes tout ce dont nous avions besoin, mais surtout du vin et du sucre. Des officiers nous accompagnaient pour maintenir le bon ordre. Au bout de trois quarts d’heure, nous revenions sur nos pas, chargés de sucre, de vin et de chaudières. Toute la nuit nous bûmes du vin chaud à la santé du roi de Prusse. Nous en portâmes à nos braves artilleurs, qui étaient morts de fatigue ; et leurs officiers furent invités à trinquer avec les nôtres. Nos moustaches à tous furent bien arrosées ; mais quelle punition pour nous de ne pouvoir ni parler ni chanter !