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de la conscience perdue de la réalité. Le savoir est devenu mort, l’Être meurt dans l’acte de connaissance. Lossky a soif d’un savoir vivant, d’un savoir maître de l’Être. Pour lui, le savoir est un acte de vie, la vie même de l’Être. Lossky pose l’expérience dans sa plénitude et sans limites a l’encontre de l’empirisme de l’école de Hume qui n’accepte l’expérience que limitée et rationalisée. Il va si loin qu’il affirme la présence spontanée de la réalité dans notre connaissance de ce qui s’est passé il y a mille ans ou s’accomplit de l’autre côté du monde. Ici Lossky rencontre une difficulté dans la question de l’espace et du temps, qui limitent notre expérience de la réalité, mais il a remis sa théorie de l’espace et du temps au moment où il élabora son ontologie ou gnoséologie ontologique. Il est important de relever que la gnoséologie de Lossky n’est pas l’idéalisme immanent ; pour lui l’Être est immanent au processus de la connaissance, mais transcendant au sujet ; il existe hors du sujet et toutes les formes de l’Être n’entrent pas dans la connaissance. Une autre particularité et originalité de Lossky est sa défense du réalisme du Moyen-Âge et sa réfutation décidée du nominalisme et du conceptualisme. Lossky défend la réalité de l’idée générale qu’il prétend être immédiatement donnée dans la connaissance. Pour lui le général est aussi individuel que le particulier. Sa théorie intuitiviste de la connaissance dépend entièrement de la possibilité d’une expérience immédiate des réalités générales ; mais le grand malheur de Lossky est de tomber dans un optimisme gnoséologique extrême, de ne pas être en état d’expliquer l’erreur, de ne pas tenir compte du fait indéniable que notre conscience est limitée, de ne pas pouvoir combler ce douloureux abîme, parce qu’on ne peut pas le combler avec de nouvelles spéculations gnoséologiques sur le processus de la connaissance. Soloviev pensait qu’on ne peut résoudre cette difficulté qu’en faisant appel à la religion. Lossky veut la résoudre paru ne nouvelle gnoséologie. Il essaie avec sa philosophie réaliste de l’intuitivisme de combler l’abîme qui sépare deux mondes et deux savoirs, de surmonter le dualisme que nous ne surmontons que par la religion. Mais ni les excès ni les fautes de Lossky ne diminuent la valeur des services qu’il a rendus à la philosophie de la Russie et du monde.

La philosophie de la Russie pose les mêmes grands problèmes que sa littérature. La recherche du sens de la vie et de Dieu est toujours cachée sous nos gnoséologies. Le plus gigantesque des métaphysiciens russes fut Dostoïewsky. Et toute notre littérature fut métaphysique et notre métaphysique fut plus littéraire que scientifique. À côté de la philosophie scientifique et académique