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d’humoriste, qui date de Montmartre, empêche le public distrait d’entendre comme il faut la musique du bon maître d’Arcueil.

Une sorte de télépathie nous inspira ensemble un désir de collaboration. Une semaine plus tard je rejoignais le front, laissant à Satie une liasse de notes, d’ébauches, qui devaient lui fournir le thème du Chinois, de la petite Américaine et de l’Acrobate (l’acrobate était alors seul). Ces indications n’avaient rien d’humoristique. Elles insistaient au contraire sur le prolongement des personnages, sur le verso de notre baraque foraine. Le Chinois y était capable de torturer des missionnaires, la petite fille de sombrer sur le Titanic, l’acrobate d’être en confidence avec les anges.

Peu à peu vint au monde une partition où Satie semble avoir découvert une dimension inconnue grâce à laquelle on écoute simultanément la parade et le spectacle intérieur.

Dans la première version les Managers n’existaient pas. Après chaque numéro de Music-Hall, une voix anonyme, sortant d’un trou amplificateur (imitation théâtrale du gramophone forain, masque antique à la mode moderne) chantait une phrase type, résumant les perspectives du personnage, ouvrant une brèche sur le rêve.

Lorsque Picasso nous montra ses esquisses, nous comprîmes l’intérêt d’opposer à trois chromos, des personnages inhumains, surhumains, d’une transposition plus grave, qui deviendraient en somme la fausse réalité scénique jusqu’à réduire les danseurs réels à des mesures de fantoches.

J’imaginai donc les « Managers » féroces, incultes, vulgaires, tapageurs, nuisant à ce qu’ils louent et