de Cap Juby, possédait ce courage inconscient et joyeux qui fait les grands héros. Mais il eût trouvé singulier qu’on le lui dît. Son point d’attache était ce port d’escale de la ligne, Cap Juby, agglomération d’un peu plus d’une centaine d’âmes d’où il était parti cent fois pour venir en aide aux aviateurs perdus dans le désert. C’était en quelque sorte, son métier, d’être dépanneur. Mais être dépanneur dans ce coin terrible, serré entre la mer et le Sahara, à la limite des territoires mal connus de la Mauritanie, encore occupés par des tribus insoumises, n’était pas chose ordinaire. Toute panne d’appareil toute chute dans cette région comportait un double danger : si l’avion ne se brisait pas sur le sol, si, par chance, ses occupants ne se tuaient pas, ils étaient exposés à être attaqués et faits prisonniers par les Maures. Plusieurs pilotes avaient été ainsi massacrés. Et Jean Saint-Flavien songeait, ce soir-là, aux appareils enfouis dans le sable qui jalonnent la route dangereuse où le vent découvre parfois un squelette blanchi ou rend une boussole, un casque ou quelque autre pauvre relique qu’on envoie en Europe à ceux qui, un jour, ont attendu vainement le retour du pilote dont la carrière s’est terminé là…
Depuis cinq ans qu’il était à Cap Juby, Saint-Flavien comptait, dans sa mémoire, quelques-unes de ces tragédies de l’air. Impuissant, il n’avait pu qu’adoucir parfois — et c’était là son titre de gloire, il avait réussi à délivrer des aviateurs faits prisonniers par les Maures, avait négocié leur rachat ou était arrivé à temps pour les sauver. Le Sahara lui était familier, il le parcourait dans son avion avec comme compagnon son interprète, un indigène soumis.
Et, ce soir-là, si Jean Saint-Flavien s’attardait au bord de la mer, regardant naître la première étoile, c’est qu’il avait le pressentiment d’un nouveau drame tout proche…
Tout à coup, il tressaillit en entendant marcher derrière lui et se retourna.
— Qu’y a-t-il, Picaud ? Du nouveau ?
