Saloun s’est mépris sur les causes de ma résistance, il a cru que c’était Marc de Brussieu qui était mon fiancé ou mon mari. Il m’a déclaré que, si je ne cédais pas, il mourrait. Il l’a fait mettre devant moi à la torture.
À ce moment-là, nous étions prés du fleuve Sénégal, je savais que nul ne viendrait nous chercher là. J’ai résisté jusqu’au jour où la mort de Brussieu a été décidée. J’étais seule, sans aucun moyen de communiquer avec ceux qui auraient pu quelque chose pour moi. M’entêter dans ma résistance, c’était condamner sûrement Brussieu sans me sauver moi-même… J’ai consenti à épouser Ahmer Saloun…
Elle s’arrêta un instant. Les larmes avaient séché sur ses joues qu’une rougeur brûlante envahissait :
— Oui, je sais. Vous allez me dire : Brussieu a été voué au sort le plus misérable. Mes prières n’ont rien pu pour lui sauf ce point essentiel : qu’on le laissât vivre. Il était esclave, soit. Mais un hasard pouvait le sauver, le ramener vers le monde des vivants… Il y a six mois, un interprète maure s’est arrêté au campement, près de Ganar. J’ai causé avec lui. Il avait été élevé par des Français, à Fez. Il a compris qui J’étais et c’est lui qui m’a offert de rechercher Bertrand Guizen, de lui porter mon message. À ce moment-là, j’étais décidée à m’évader à tout prix si l’occasion s’en présentait. Mais le silence s’est fait, j’ai perdu tout espoir et alors…
Saint-Flavien, très ému, s’avança vers elle :
— Je vous demande pardon, dit-il. Ce que vous avez fait est admirable. Mais, aujourd’hui, votre sacrifice n’a plus de raison d’être. Nous vous sauverons, vous reverrez la France, vos amis…
Et comme elle secouait la tête avec une expression de tristesse, il s’étonna :
— Vous refusez ?
— Je ne partirai pas. Brussieu, lui, reverra la France et redeviendra un homme au lieu de la malheureuse bête de somme qu’il était. C’est moi qui, lorsque j’ai su qu’il était condamné à mourir, vous ai prévenu…
