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II

À VENISE

Il y avait un peu plus d’un mois que les deux amants étaient à Venise, quand éclata la crise terrible dont s’est ressentie leur vie entière : fatigué au physique et au moral par le voyage, affaibli par le climat, ennuyé de cette compagne toujours malade qui lui faisait si triste figure, Alfred de Musset devint nerveux, irritable, s’emportant à la moindre contradiction, au moindre obstacle ; George Sand, que la fièvre rendait non moins irascible et maussade, reçut mal ses observations ou ses doléances : de là ces querelles qui firent de leur chambre d’hôtel un enfer. Ce ne fut pas leur faute, il ne faut les accuser ni l’un ni l’autre : le milieu seul fut coupable. Et puis, sans vouloir en convenir avec eux-mêmes, ils commençaient malgré eux à sentir que leur beau rêve était irréalisable et que l’amour idéal ne se trouvait pas sur terre. C’est alors qu’Alfred de Musset fut à son tour atteint par la fièvre ; et dans l’état d’excitation où il vivait, le mal ne fit pas chez lui de lents progrès comme chez George Sand : il l’abattit d’un seul coup. George Sand éperdue, ne sachant où donner de la tête, manda par une lettre pressante[1] un jeune médecin, qui, peu de temps auparavant, l’avait soignée pour une migraine, le docteur Pierre Pagello :

«…E mi pregava di accorrer subito, e, se lo credessi opportuno, di condur meco un altro medico, per consultare,

  1. Cette lettre a été publiée par M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul (Cosmopolis). Le docteur Cabanes a écrit dans la Revue Hebdomadaire une très curieuse étude sur les relations de George Sand, Pagello et Alfred de Musset ; son récit diffère quelque peu du nôtre dans les détails, mais le fond de l’histoire est le même.