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qui t’en a empêché depuis six semaines, car il y a réellement tout ce temps que je n’ai reçu un mot de toi. La dernière [lettre], qui m’a fait tant de plaisir, est datée du 6 janvier ; je l’ai relue bien des fois, mais maintenant je ne puis plus la relire, elle me fait mal, car cette phrase par laquelle tu la termines : « Ne crains pas, ma chère mère, il t’en coûtera des ports de lettres… » etc. : n’y a-t-il pas dans cette assurance de quoi faire naître les plus vives inquiétudes ? Car, qui peut te détourner d’une si bonne et si chère résolution, que des accidents graves ou un état d’abattement causé par la maladie ? Je sens, mon cher enfant, que si rien de tout cela n’existe, je vais l’ennuyer par mes doléances ; mais figure toi un peu ce que c’est que d’être à trois cents lieues de son fils chéri, et de ne savoir à quels saints se vouer pour savoir s’il existe ou s’il est mort, assassiné, noyé, que sais-je ? Il y a de quoi en perdre l’esprit et c’est ce que je fais.

« Nous avons passé un triste carnaval…. (Détails sur les bals où elle était invitée avec sa fille.)

« Je ne sais pas si tu as reçu les deux lettres que je t’ai adressées à Venise ? La première était adressée poste restante, à Venise ; la seconde, quai des Esclavons ou bureau restant. Mais j’avais mis sur l’adresse Monsieur de Musset sans le prénom d’Alfred ; je crains que si tu l’as été chercher on ne te l’ait pas donnée. Enfin je me persuade que tu n’as pas reçu mes lettres, puisque tu n’as répondu à aucune. Celle-ci sera-t-elle plus heureuse ? Cela est fort douteux. Fais réclamer les autres si on ne te les a pas encore données. Il faudrait y aller toi-même, car on ne les donne pas à d’autres qu’à la personne même à laquelle elles sont adressées.

« Mais cela est du bavardage, tu le sais aussi bien que moi.

« Je te quitte en t’embrassant bien tendrement ; ton frère et ta sœur en font autant, mais personne au monde ne t’aime comme

« Ta mère. »

Ce n’était ni la paresse ni la maladie qui empêchaient Alfred de Musset de donner de ses nouvelles ; il écrivait régulièrement et confiait ses lettres à un gondolier, nommé Francesco, pour les porter à la poste avec l’argent nécessaire à leur affranchissement : mais Francesco dépensait l’argent au cabaret et jetait la lettre à l’eau.