contre les égarés qui le méconnaissent malgré eux, contre les ahuris qui
s’en effraient, et contre les ambitieux et les intrigants qui ne le goûtent pas
pour des causes bien connues d’eux. » Sa manière se distingue en ce qu’elle
offre des éléments fondamentaux, recherchés dans la suite des siècles autant
que dans l’observation des contemporains.
La forme de l’ouvrage est une discussion entre amis, quatorze fédéralistes d’éducations diverses ; c’est une sorte de concile en pleine campagne, ou, dit-il encore, « le drame intellectuel dont le dénouement est la détermination d’une doctrine. » En sorte qu’au lieu d’un cours froid, didactique, on a un livre d’une lecture vivante et colorée. C’est vraiment un volume qu’on désirerait voir dans toutes les mains, parce qu’il peut être entendu par tous les esprits. Le héros du « drame » est, ma foi, fort existant : c’est le fédéralisme luttant au cours des siècles, toujours écrasé et toujours renaissant.
Un premier dialogue, sur la nature et sur la méthode, place le sujet au point le plus élevé des controverses humaines. Il donne aussi la réfutation des erreurs de certains savants hostiles à la poésie. Puis, ces fédéralistes annoncent ce qu’ils veulent : ce n’est pas chercher la solution pratique, immédiale, à toutes les questions sociales et politiques qui occupent le XIXe siècle ; c’est plutôt définir l’esprit nouveau qui suscitera à ces questions la seule solution pouvant les terminer.
La pensée révolutionnaire, entravée par les diverses réactions, est sortie plus puissante des obstacles dressés sur sa route ; elle se connaît mieux, et sait enfin ce qui doit être édifié. Quant aux réactions, la bourgeoisie, cette tourbe d’agioteurs, qui leur a donné refuge, les entraînera dans sa ruine ; n’est-ce pas elle qui, en conservant l’idée unitaire et centraliste, a fait persister le principe d’autorité dans la Révolution ? Mais celle-ci, qui est science el conscience, et la multitude, qui est poète et artiste plutôt que savante, doivent se retrouver dans l’esprit nouveau, reconstitutif de la liberté, sans, toutefois, perdre le respect des grands hommes, ces précurseurs ou ces organisateurs.
De l’histoire, Ricard dégage principalement l’idée de progrès. Il montre que la philosophie des événements est inutile au peuple, tandis que leur explication politique lui procure un enseignement salutaire, bailleurs, par l’histoire, « l’homme se sent contemporain de tous les siècles » ; il y apprend que, sous les dominations unitaires, les races n’ont pas disparu, et que leur antique fraternité originelle « apparaîtra transfigurée et universalisée dans la fédération des peuples libres ; » il en tire même « une nouvelle théorie de la religion et de son avenir. » Car depuis Ciel, Rue et Foyer, Ricard a creusé la vérité à fond ; ce n’est pas, chez lui, une évolution : ce serait plutôt une confirmation, puisque, d’une part, il est resté fidèle absolument à sa profession de foi démocratique, et que cependant, d’autre part, la foi latente en son instinct de poète sincère est venue au jour, jusqu’à proclamer : « Dieu est une puissance non encore définie… S’il est un Dieu vivant, c’est celui-là qui ne se repose jamais… Entendu de la sorte,