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Les ennemis râlent, vaincus ; le poète s’avance dans la forêt qu’un soleil triomphant baigne de jeune lumière :


Ô forêt, réponds-moi ; le long des aubépines
Et sous l’épais buisson du chemin, les oiseaux
Font vibrer les fraîcheurs de leurs voix cristallines,
Et l’abeille bourdonne au milieu des sureaux ;

Les liserets des bois avec les pâquerettes
Causent dans l’herbe haute ; et les papillons bleus
Au sein vert des gazons cherchent les violettes
Qui laissent délacer leurs corsets amoureux.

L’amour règne et sourit. La nature est en fête.
Ô forêt, quel sentier me conduira là-bas ?
Dis à tes papillons de guider un poète
Dans les détours ombreux que je ne connais pas.


Là bas, la liberté contre le despotisme, et le dompte : — tel était le but de ce poème viril, républicain, ne réclamant de l’art que sa forme supérieure, mise au service d’une idée qui emporte tout.

Au bord d’une fenêtre, le poète écoute les rumeurs de la rue, l’homme d’action aspire à y descendre ; de misérables femmes excitent en lui, non la pitié, qui a quelque chose d’injurieux, mais la solidarité humaine :


Effeuillés et flétris par la honte éternelle,
Vos cœurs ne peuvent plus renaître et refleurir ;
Et, si quelque désir y vient battre de l’aile,
Votre air est trop impur pour le pouvoir nourrir.

Et, comme ces buissons qu’a brûlés la gelée,
Vous ne porterez plus de nids dans vos rameaux,
Et vous n’entendrez plus l’aube vive et mouillée
Chantant et grelottant, rire avec les oiseaux.

Quand l’été fleurira, sous vos arides branches,
Les blancs amours, pareils à des marbres sculptés,
Ne viendront plus vous voir, sous leurs tuniques blanches,
Sourire et s’enlacer le chœur des voluptés.

Du soleil matinal les yeux vermeils et roses
Ne perceront jamais l’ombre de vos ennuis ;
De leurs manteaux tordus les impassibles nuits
Versent sur vous sans fin leurs ténèbres moroses.

Vos pieds sont dans la fange ; et vos fronts dépouillés
Rêvent sinistrement dans l’ivincible brume ;
Et les dégoûts, vieillards rêveurs et désolés,
Éteignent tous les feux que l’espérance allume.


Le poète accuse la société meurtrière ; quant au Dieu des chrétiens :


Vous donc qui l’adorez, pleurez ! Mais nous qui sommes
La révolte éternelle et l’éternel désir,
Sans pitié pour les dieux nous pleurons sur les hommes ;
Entre nous et les dieux il a fallu choisir !