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au soir de la pensée

donc avec sûreté les premières formations végétales et animales, s’emparer progressivement du globe terrestre depuis les cryptogames, les protozoaires, en une multitude innombrable, jusqu’à l’homme, de palier en palier. C’est un événement un peu plus vaste et plus chargé de significations, de suggestions, que nos stériles annales de conquérants batailleurs ou la lanterne magique de notre traditionnelle « création ». Puisque la durée des ères zoologiques procède en décroissant à mesure qu’on s’approche de la surface du sol, et que la profondeur des terrains archéens est au moins égale à l’ensemble des terrains fossilifères, il a donc fallu plus de temps pour arriver des premiers sédiments au début de l’ère primaire, que de l’ère primaire jusqu’à nous. J’ai déjà remarqué que les premières installations de la vie ne sont pas réservées aux plus anciens dépôts des terrains primaires. Le peu de consistance des formes primitives, l’intervention des roches éruptives, les contractions de la surface terrestre, avec ses plissements, ne pouvaient que se prêter fort mal à la tranquillité des fossilisations. Il n’en est pas moins vrai qu’on rencontre des couches carbonifères jusque dans les dépôts archéens, où l’on a même trouvé des empreintes de protozoaires.

À quelque moment que se soit manifestée la présence d’un organisme de vie dans des conditions qui nous échappent encore, peut-on dire qu’il y ait un plus grand « saut » d’un plasma cristallifère au plasma organique, producteur de la cellule, que du milieu chimique à la formation cristalline ? D’abord, il n’y a pas de « saut » dans la nature[1], malgré la théorie même des quanta qui s’enchaînent rigoureusement l’un à l’autre pour de communes distributions d’énergie. Nous ne voyons que des enchaînements de passages. Et quand nous tenons ferme la chaîne indestructible du protozoaire à l’homme pensant, le passage est d’un assez bel élan pour que nous ne chicanions pas, au nom d’une biologie métaphysiquée, le simple glissement évolutif du plasma minéral au plasma organique producteur de toute vie organisée. Le cristal, lui aussi, est d’une organisation. Comme

  1. La différence, évidemment discontinue, entre père, mère et enfant n’empêche pas celui-ci d’évoluer en corrélation de ses ascendants, depuis l’ovule fécondé qui lui a donné naissance. Les mutations ne sont que l’effet de tous conflits de directions évolutives.