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notre planète

généralisations d’expérience[1], que par la fécondité des vues qu’il déroule à nos yeux. Cuvier, qui devait si malheureusement aboutir aux « Révolutions de la surface du globe terrestre » et aux « Créations séparées des espèces », demeurera toujours le génial fondateur de l’anatomie comparée et de la paléontologie par les admirables travaux qui lui ont permis de démontrer les rapports — rapprochements et différences organiques — entre des espèces voisines. Nous étions dès lors en chemin vers la découverte prochaine des enchaînements universels grâce auxquels, déclare M. Albert Gaudry, « l’histoire naturelle devient de l’histoire, au sens propre de ce mot, retrouvant les titres de généalogie d’une multitude d’êtres qui, autrefois, semblaient des enfants perdus »[2].

Cent quatorze zones de terrains correspondront à « autant de changements constatés dans le monde animal ». Mais nous sommes loin de compte. « Les grandes barricades d’autrefois entre les époques géologiques sont changées en de nombreuses petites barrières, et si, un jour, on distingue une multitude infinie de couches distinctes, les séparations seront encore bien plus affaiblies. » Nos classements géologiques et paléontologiques les plus positivement manifestés n’en seront pas moins, en effet, le produit de notre analyse subjective, tandis que les inévitables transitions des passages disent un phénomène généralisé de cloisonnements qui ne sont que des aspects divers de mouvements.

Les activités des faunes à travers les dispositions géologiques changeantes ont encore compliqué le problème où des savants sans peur cherchent à se reconnaître. À mesure qu’il pénètre dans la lente formation des terrains et les répartitions accidentées de leur faune, M. Albert Gaudry en vient bien vite à remarquer que « l’époque humaine est peu de chose dans l’océan des âges ». Il n’est que trop certain. Cela n’implique-t-il pas quelques conséquences ? Celle-ci, par exemple, que le passage de la vie elle-même ne soit, du point de vue cosmique, qu’un accident éphémère à peine discernable dans l’ensemble des choses.

  1. Il semblerait même que l’auteur a voulu se mettre d’abord en règle avec les préjugés du monde académique contre la théorie de la filiation des êtres, car il se plaît à invoquer de temps à autre, sans nécessité apparente, le témoignage de « l’Être infini et le plan de sa création, » sans appuyer, bien-entendu.
  2. Albert Gaudry, Les Enchaînements du monde animal.