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au soir de la pensée

les données de l’entendement humain. L’émotion ordonnée de comprendre succède à l’éblouissement d’imaginer. Qu’importe le choc en retour des hallucinations dans les nuées ? De nos émotions du Cosmos, nous trouvons, aux bancs de l’école, deux schémas contradictoires, dont le « biblique » s’impose, par des rites de mystères soutenus d’une mimétique appropriée, tandis que le « scientifique » nous offre d’inébranlables points d’appui pour des interprétations de positivité. La « Révélation » fait entrer de plain-pied la simplesse enfantine dans les familiarités de l’universelle puissance, maîtresse de nos destinées, tandis que l’ingrat labeur d’expérience ne nous mène qu’à des contingences chanceusement rencontrées ! Entre les émotions des deux méthodes, comment le choix des foules ignorantes ne se serait-il pas fait de prime saut ? Mais comment soutenir que cela doive être le dernier mot de l’humanité ?

Longtemps, longtemps après, quand les gymnastiques de la vie pensante auront assoupli nos articulations de connaissance, nous nous demanderons peut-être ce que les professeurs d’absolu en peuvent connaître, et puisqu’on aura fait de nous des interlocuteurs tremblants de la Toute-Puissance, l’idée nous viendra-t-elle, un jour, qu’avant de lui obéir, il pourrait être bon de l’interroger. Rompu le charme de la princesse magique qui attire l’ingénu chevalier dans les enchantements de son palais, pour se décomposer, à l’heure de la possession sublime, en des ajustements d’artifices qui ne laissent qu’un squelette décharné aux hideux embrassements d’un amour évanoui.

Moins prometteuse, mais plus féconde en réalités tangibles, la connaissance progressive d’objectivité donnera plus qu’elle n’avait annoncé. Car, aux satisfactions légitimes de l’expérience contrôlée s’ajouteront lentement des compositions d’émotivités grandissantes, à l’appel des spectacles d’un monde palpitant, toujours plus grand, toujours plus beau. Qui promit tout n’a rien donné. Qui ne montrait d’abord que timides élans a dépassé les plus hautes espérances, par des coordinations de rapports, couronnées des inductions d’idéalisme dont les lueurs nous révèlent les magnificences de nous-mêmes et du monde. Mouvements de subjectivité, sans doute. Mais comment nous prendre à un plus ferme appui que de nous-mêmes — le seul qui soit à notre portée — dans la mesure