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au soir de la pensée

l’homme, qui s’y intègre, ne peut être différente, tandis que l’erreur spontanée de sa compréhension première fut de vouloir fixer l’univers dans l’équilibre supérieur d’une puissance personnalisée, et de s’immobiliser lui-même, à son tour, en une âme relative par la naissance, absolue par l’éternité. Prenons garde de ne pas engager nos interprétations représentatives dans l’obsolète conception d’une conscience universelle identique au Cosmos, et par là même incapable de s’objectiver dans la relativité de l’espèce humaine[1].

L’unité de la matière, et, par conséquent, de l’énergie qui ne s’en peut disjoindre, est l’hypothèse où paraît nous conduire l’expérience moderne, à ce jour. La notion d’une ultimité cosmique n’en est point éclaircie — l’ordre d’un classement subjectif n’impliquant point de nécessité, une correspondance objective en relation de l’infini. L’atome, avec sa charge disproportionnée d’énergie, ne ferait que substituer au Dieu conscient la figuration d’un réservoir d’inconsciente énergie dont la conception panthéiste pourrait s’accommoder. Mais non. L’observation positive nous montre des bombardements de particules atomiques, par l’effet desquels des complexités de mouvements moléculaires manifestent des réactions de sensibilité qui nous font une conscience des éléments en permanente évolution.

La destinée du monde, ou nous sommes à jamais engagés par nos retentissements élémentaires, nous était indifférente avant notre naissance. Indifférente nous redeviendra-t-elle à l’instant qui suivra notre mort. Avant, comme après la vie, les contentements et les souffrances de notre sensibilité se retrouveront confondus dans les évolutions universelles qui les auront provoqués. Le problème de l’homme conscient de lui-même, embarqué, comment que ce soit, pour une traversée de la vie, est de faire bonne figure dans les diversités des évocations de l’équipage, et s’il s’énerve aux violences des flots, de ne pas se donner le ridicule de craindre le port.

Dans ce merveilleux périple où bonnes et mauvaises volontés procèdent de compagnie, les évolutions, que rien n’arrête, ont précipité tout le monde atomique de notre nébuleuse incendiée

  1. Que serait Dieu sans sa « création » ? Sans raison d’être, sans motif d’activité, il a dû, jusque-là, se suffire à lui-même. Pourquoi n’a-t-il pas continué ?