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au soir de la pensée

œuvres d’une enquête hâtive de primitivité, pour nous accommoder aux incohérences d’un « idéal » périmé. La réforme, d’abord, doit être de dépersonnaliser l’inconnu. L’intellectualité n’y ferait pas obstacle (bien au contraire) si nous ne nous étions ainsi donné pour compagnons d’existence des divinités qui nous assurent l’infinie douceur des entretiens de confiante amitié. De la Toute-Puissance à l’impuissance, il semblerait que ce dût être, pour nous, tout profit.

Pouvons-nous, cependant, rencontrer des joies supérieures ? J’ai essayé de le montrer. La Divinité étant une figuration d’ « idéal », il faut seulement comprendre que « l’idéal », avec le charme de ses grandeurs imaginaires, n’est plus « l’idéal » dès qu’il se trouve réalisé. On l’a bien vu par tous les mouvements humains de tous les Dieux de l’histoire. Un « idéal » qui produit les contresens de l’enfer et du paradis est en faillite déclarée. La chimère n’est belle qu’à la condition de nous échapper. C’est pourquoi « l’idéal dépersonnalisé » du Bouddha a si puissamment agi et agit encore sur des peuples de la plus haute émotivité.

Que les Divinités aient primitivement aidé l’homme à régler, à conduire sa vie, je ne l’ai point contesté. Qu’elles l’aient souvent dévoyé, comme dans le cas topique de Galilée, et de tous les exploits de l’Inquisition, le silence organisé sur ces matières est un suffisant aveu. Malgré tout, en possession de ce qu’il juge un talisman supérieur, le fidèle ne s’en laisse pas aisément dépouiller. Cependant comment reconnaître le vrai Dieu, l’unique, dans l’ensemble des Divinités de la terre qui s’excluent réciproquement, et comment tout le déchet de tant d’erreurs peut-il être un argument pour la vérité ?

Ainsi, répondra-t-on, votre « idéal », n’est rien qu’un rêve inaccessible qui se dérobe à toute heure pour nous conduire à notre propre effondrement, tandis qu’à nos yeux, l’amour divin demeure toujours penché sur nos faiblesses inévitables. Vous vous guidez sur une étincelle des choses et nous marchons à l’étoile. Rêvez de votre empirisme péniblement ordonné. Nous voulons vivre de l’absolu que notre tâche est de réaliser en nous.

— J’entends bien que vous le dites, que vous le croyez, que vous le voulez. Cela suffit-il pour l’action qui doit suivre ? L’absolu, par définition, ne peut être personnalisé, c’est-à-dire circonscrit, limité. Nous avons dépensé des siècles et des siècles à