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et après ?

pour point de direction. Au travers des actions et des réactions emmêlées, nos formules générales de l’univers, issues des profondeurs d’une conscience de sensations mouvantes, nous mettent en action suivant les mesures organiques de chacun. Nous cherchons un point fixe, et l’univers ne nous en offre pas. Quoique le pôle se déplace, l’aiguille aimantée ne nous en est pas moins d’une précieuse indication de rapports, puisque nous sommes entraînés, avec elle, dans le mouvement universel. Notre cas personnel est d’impulsions organiques dont l’élan nous projette, pour un éclair de temps, au delà de nous-mêmes, comme feraient des fusées de lumière fouillant les lignes du chemin. C’est ce que nous appelons « l’idéal », c’est-à-dire une vue d’imagination dont la justesse — insuffisances compensées — peut, selon les chances, nous permettre de scruter, peut-être même de découvrir des parties d’horizon.

Si l’action était égale à la réaction, il n’y aurait pas d’évolution, et l’univers serait d’un pendule éternel sans aucun déplacement d’énergie. C’est la différence de l’action à la réaction qui produit l’évolution. Et bien que nous échappe la conscience des mouvements de la vie végétative, c’est le sentiment d’une projection au delà de nous-mêmes qui lance l’imagination au devant de fuyantes lueurs où nous cherchons, comme dans la nuit, les premiers signes de la prochaine aurore, avec le bonheur d’anticiper en rêve sur les espoirs du lendemain. L’imagination, soit. Mais d’un effet puissant, jusque dans ses erreurs qui seront redressées, puisqu’elle éclaire la voie. N’ai-je pas déjà noté que l’imagination ne crée rien, tout son effort étant d’agrandir des parties d’observation, au risque de les déformer ? Qu’importe que l’étoile à laquelle nous marchons soit d’un prochain jet de flamme, ou au plus loin de l’espace, d’un immense embrasement d’incendie. Elle aura brièvement illuminé la route d’une vie éphémère, et nous aurons marché.

Le premier effort d’ « idéalisme », aux premiers jours de la pensée, fut de personnaliser le mouvement des choses. Quoi de plus naturel en des temps où l’on ne pouvait avoir la plus élémentaire notion d’une analyse ou d’une synthèse ? Et combien plus tentant de commencer par la synthèse ! La question de ce jour est de savoir si les acquisitions de notre mentalité accrue doivent être tenues pour décisives, ou si nous devons nous attacher aux