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au soir de la pensée

« la mort est une épuration de la vie ». Sur quoi un journaliste de lettres, le lendemain, dans la presse, fit observer que cette phrase ne peut avoir aucun sens dans la bouche d’un incroyant. Les dogmatiques et leurs élèves de tous noms auraient-ils donc la prétention de ne point accepter que nous puissions considérer la mort sous l’aspect d’un achèvement idéaliste de la vie. J’entends bien que leur insuffisance d’observation a besoin de la mise en scène d’un paradis et d’un enfer indescriptibles, pour achèvement de sanction. S’ensuit-il qu’il soit interdit aux intelligences libérées de l’emprise atavique d’abdiquer ces réminiscences d’une puérilité lointaine et de construire leur vie dans les données d’une activité d’idéal dont la mort, à titre de suprême épreuve, soit le digne couronnement ? Ne pouvons-nous laisser aux chanceuses rétributions de la vie le soin des compensations de joies et de douleurs qui peuvent corriger parfois les manquements de la destinée ? Mélange instable de haut idéalisme et de vulgaires soucis dont elles ne peuvent pas toujours s’alléger, nos agitations s’embarrassent d’une trop lourde gangue d’intérêts secondaires, de concessions aux défaillances, de ménagements pour des abus dont nous acceptons ou même recherchons notre part. Scories de l’idéal, dont nous portons péniblement le fardeau !

Les meilleurs, vieillissant, se dégagent peu à peu des mensonges de convenances qui ne pèsent qu’aux affinements de sensibilité. Nous naissons à la mort en même temps qu’à la vie. Dès notre premier cri, la mort est en chemin, et, plus tard, la seule pensée de l’inévitable nous détachera peu à peu des vains artifices de la vie. Déjà se fera le départ du legs de pensées et d’exemples dont, sous quelque forme que ce soit, la mémoire de chacun demeure accompagnée. Qui de nous, aux approches de la mort, n’aura senti sourdre en lui l’orgueil de quelques nobles heures, ou l’humiliation de vilains jours ? Et qu’est-ce que le châtiment des fautes, sinon l’indicible misère de s’être manqué à soi-même non moins gravement qu’à autrui, d’avoir, parfois, tendu vers « l’idéal » pour résister insuffisamment aux vertiges de l’abîme ? N’est-ce donc d’aucun compte, ce retentissement, heureux ou malheureux, de forces et de faiblesses pour la leçon finale d’une vie dont le dernier fil va se rompre ? Le vain bruit qui s’est fait autour d’une existence troublée s’est à jamais évanoui. Des défaillances passées, il ne reste que