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et après ?

mène, coupé des rythmes bienfaisants du sommeil — mort provisoire dont nous ne cessons d’appeler le recours. En vouloir distraire ou modifier quelque partie, en conformité de nos vœux passagers, ne serait pas moins fou que de prétendre arrêter le cours des astres au gré de notre fantaisie. C’est à quoi, cependant, nous nous exerçons gravement.

Tout un battement d’horloge, le monde nous est donné par la faveur de réactions de sensibilité organiquement enchaînées Nous ne pouvons pas nous soustraire aux oscillations du pendule cosmique, mais, par un privilège supérieur, notre déterminisme, qui nous a conduits à l’état de conscience peut nous ramener aux champs de l’insensibilité. Si la libération du suicide est d’un allégement pour qui a dépassé le mètre de sa capacité de souffrir, n’arrive-t-il pas, pour tous, que les régressions de la vieillesse atténuent peu à peu le cours de nos activités organiques, jusqu’aux abords de la transformation physico-chimique de l’organe épuisé ? Le problème de la vie et de la mort est donc moins de la réalité cosmique, dont les bûchers eux-mêmes n’ont pu établir la nature divine, que des états subjectifs de mentalité qui, à la façon d’un verre grossissant, nous déforment le Cosmos quand nous prétendons l’observer.

Cependant, l’évolution de notre connaissance ayant changé nos points de vue depuis l’homme de la Chapelle-aux-Saints jusqu’à nos jours, il y a d’abondantes raisons pour que les jugements humains sur la mort continuent de se modifier dans les temps qui viendront, comme ils ont fait dans les temps écoulés. Songez que le monde gréco-romain voyait généralement le problème de la mort d’un œil beaucoup moins émotif que nous ne faisons aujourd’hui. N’oubliez pas que les deux mille ans du Christianisme ne sont que brève durée, au regard des cinquante mille ans d’âge que peut approximativement invoquer l’homme de la Chapelle-aux-Saints. Des changements si manifestes du passé, n’avons-nous pas le droit de conclure à ceux de l’avenir en des temps illimités ?

J’ai dit que le Bouddhisme, l’une des plus hautes et des plus belles religions, qui peut s’enorgueillir encore présentement du plus grand nombre de fidèles, offre aux foules idéalistes de l’Orient, pour suprême récompense, l’anéantissement de la vie. Nous débarrasserons nous jamais de cette manie de la fixité,