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et après ?

la mort, dans les conditions de sa vie, il faudra que le Paradis comporte des passages de souffrances, et l’Enfer des instants de plaisirs.

Il n’y a pas de sensations, il n’y a pas d’émotions qui aient plus grand besoin d’être ramenées à leur juste mesure que celles qui effarent le commun des hommes à l’idée de la mort. Quoi de plus nécessaire qu’un examen attentif du problème si l’on veut conduire droitement sa propre vie à travers les écueils, et prononcer sur soi-même en une attitude d’humaine dignité. Voué à la mort est tout ce qui a commencé de vivre. Loi sans exception, dont la rigueur ne peut être atténuée.

L’infiniment petit de son existence peut jeter l’homme dans un désespoir de philosophie concluant au suicide, c’est-à-dire à devancer l’évanouissement de son infimité. On connaît par l’Anthologie grecque l’épigramme de Léonidas de Tarente :

« Infini, ô homme, était le temps avant que tu vinsses au rivage de l’Aurore. Infini aussi sera le temps après que tu auras disparu dans l’Érèbe. Quelle portion d’existence t’est laissée, si ce n’est un point, ou s’il est quelque chose encore au-dessous d’un point ? » Quelle que fût son histoire, le « Phidon », à qui s’adresse cette parole, aurait mis fin à ses jours parce que la vie lui paraissait trop brève. On dirait d’un spectateur qui quitte le théâtre parce qu’il apprend que la tragédie doit avoir une fin. On comprend mieux Saint-Évremond remarquant qu’ « à bien considérer la misère de la vie, le souverain bien serait plutôt de la finir ». Malgré Phidon, et Saint-Évremond qui vécut en épicurien, les hommes de toutes doctrines se rencontrent, d’un même élan, dans l’amour de la vie.

Pour échapper à la positivité cosmique, nous avons la ressource des mots. Mais l’entité qui nous promettait une survie n’a pas même pu fournir la manifestation de sa propre existence. Personne, en tout cas, ne voudrait opposer à une expérience de physique ou de chimie l’argument qu’elle lui est déplaisante. En revanche, le passage des phénomènes d’ordre physico-chimique à l’ordre biologique (qui fait la naissance) ou de l’ordre biologique au physico-chimique, (qui fait la mort), se voit violemment contesté par l’unique raison que l’émotivité personnelle du sujet n’y trouve pas son compte. Ce serait l’homme, ainsi, qui déterminerait le monde. Il devient assez difficile de le soutenir.