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et après ?

a vus s’éteindre tour à tour dans l’apathie des choses. Ainsi feront combien d’autres, dont la fin est en préparation.

Mais où est le preux Charlemaigne ?
Hélas ! Et le bon roi d’Espaigne
Duquel je ne sais pas le nom ?

D’un mouvement commun, tout passe, et tout continue. Nous verrions de l’ordre dans nos propres désordres si nous pouvions regarder assez longtemps.

Le désordre de nos civilisations est-il donc aussi excusable que de nos sauvageries ? je n’oserais trop me prononcer. Notre sauvage ne se met pas un bonnet carré sur la tête pour y loger un trop-plein de pensées. Il est de mouvements sommaires, et trouve la même joie de ses canines dans la chair du coupable et de l’innocent. Ses manifestations de la force animale se montrent candidement, au point que la civilisation s’enorgueillit à bon droit d’y avoir apporté des adoucissements. Nous parlons désormais la justice, la liberté et mille vertus de subjectivité humaine, que nous nous réservons d’agir en de futures périodes de « Et après ? » — ce qui nous a conduits jusqu’ici à des paix de violences diversement réglées.

Que la guerre soit un entr’acte de la comédie de la paix, ou la paix un entr’acte du drame de la guerre, il demeure établi que nous acceptons d’en subir les sanglantes épreuves, que nous les recherchons même, et qu’il nous plaît encore de nous en enorgueillir. Pourquoi donc tant de lamentations sur l’incommensurable malheur d’une fin de bienfaisant repos ? Je ne vois pas pourquoi nous ne finirions pas par accepter la mort, telle qu’elle s’impose, comme nous faisons pour la vie. Quelques siècles d’accoutumance, qui peuvent être nécessaires, ne nous seront point marchandés. L’histoire nous montre assez que l’homme s’en fait accroire trop aisément, aussi bien quand il dit : « Je peux, » que lorsqu’il crie : « Je ne peux pas. » Voyez de quel cœur joyeux les héros de la Grèce marchaient à la mort au delà de laquelle ils n’attendaient rien. L’enseignement n’est-il pas moins clair des centaines de millions de bouddhistes qui, depuis trois mille ans, s’efforcent, par leurs vertus de mériter cet anéantissement total regardé par eux comme une récom-