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au soir de la pensée

ou d’une régression nous est particulièrement déplaisante, sans que cela tire à conséquence puisque nous n’avons pas été, et ne serons pas, consultés. Ne se conçoit-il pas que notre évolution s’épuise avant l’heure d’une transformation planétaire ? Où en serons-nous quand les aliments du feu solaire viendront à nous manquer ? Nous n’y songeons même pas. Lorsque le milieu devint trop différent, le dinosaure, l’archéoptéryx et beaucoup d’autres êtres qui n’avaient rien prévu, virent leur histoire achevée. Ils l’auraient regretté, sans doute, s’ils s’étaient trouvés, comme nous, en état de philosopher.

La complexité, la beauté, les discordances de nos évolutions ne changent rien du sort impitoyable. Il y aurait même comme une compensation d’équité à nous faire payer d’un effort d’abnégation supérieure l’avantage d’une vie susceptible d’être esthétiquement achevée. Pas plus que nos paroles projetées à la fortune des choses dans l’univers inattentif, nos mouvements d’émotivité, fondus dans les cycles infinis du Cosmos, ne peuvent que se traduire en des oscillations d’énergies qui se disperseront ou se concentreront dans l’infini du temps et de l’espace, selon des rythmes d’où nous tirerons tous nos romans de l’univers, sans que la trajectoire d’un électron s’en trouve affectée.

J’invoquais tout à l’heure le témoignage des innombrables générations, de toutes morphologies, dont le sort nous permet si clairement une prévision du nôtre. En quelque point de l’échelle animale qu’il me plaise de m’arrêter, je retrouverai toujours la permanente évolution des activités organiques successivement étagées jusqu’aux mêmes ordres d’achèvements éphémères. Un « commencement », une « fin », ne sont qu’un temps schématique des transitions insensibles d’un passage d’évolution à un autre en des points d’enchaînements. Notre pithécanthropique aïeul nous a légué, pour héritage, le passeport authentique des ossements du pliocène de Java, tandis que philosophiquement il s’esquivait de la vie sans laisser trace d’un geste de protestation. Même affaire de l’homme de la Chapelle-aux-Saints, introducteur discret de nos présents sauvages qui sont en train de disparaître, comme l’aïeul anthropoïde lui-même a disparu. Ne faut-il pas que nos stages d’humanité diverse suivent la même voie ? Les peuples initiateurs de l’histoire, on les