Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
466
au soir de la pensée

Lui. — Et que faites-vous, dans tout cela, de l’approbation publique ?

Moi. — Je n’en fais pas état avant de savoir sur quels fondements il lui arrive de s’établir. La foule, comme l’individu, et plus souvent que l’individu, peut errer, car le nombre lui apporte surtout des confirmations d’ignorances, des émotivités de méconnaissances, tandis que l’individu qui peut arriver à se faire une opinion personnelle demeure capable de se diriger sans d’autre secours que de lui-même. En tout état de cause, j’invoque donc mon droit de différer. L’assentiment public, nous le recherchons tous au profit de nos idées. N’en faut-il pas venir à le vouloir de qualité ? Rien de plus nécessaire puisque, de l’ignorance à la culture, il implique méconnaissances et connaissances mêlées. Ajoutez que la succession des jugements d’émotivités est si peu stable que nous nous en détachons parfois aussi vite que nous nous y sommes portés. Il peut être fâcheux d’attribuer à des moments de tourbillons une valeur de fixité. Vous savez, comme moi, que les élites mêmes ont quelquefois assez de peine à arrêter leurs jugements, et que l’opinion publique la plus circonspecte n’est pas toujours d’irréfragable sûreté. Les débats sur la rotation de la terre et la révolution du soleil en ont fait voir d’assez beaux exemples.

Lui. — Et vous me proposez de mettre l’idée de la Divinité au même plan ?

Moi. — À consulter l’expérience, la tentation en est fort grande. Que fais-je, sinon de juger votre pensée sur l’épreuve de ma propre observation ? Regardez en vous, je vous prie, et, sans superfétations de discours, vous avouerez que le fond de notre dissentiment pourrait bien être surtout dans des discordances d’émotivités. Vous vivez de crainte, et je fais confiance au courage : voilà la vraie raison pour laquelle nous ne pouvons nous accorder. Seul, aux prises avec l’impassibilité des choses, l’homme, mis en demeure de ne s’attendre qu’à lui-même, se trouve, ou non, capable d’opposer à l’inconscience élémentaire l’entraînement de sa sensibilité. Ferme sous les assauts du Cosmos, il ne doit de comptes qu’à ses compagnons d’existence. L’argument a passé du désordre des féeries ataviques au cycle actuel de l’expérience dans les données de l’univers indifférent. Le drame des activités organiques aux prises