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et après ?

Moi. — Oui, ceci fut de compte, en effet, aux débuts de l’homme dans les premières activités de la connaissance. Il s’agit aujourd’hui de savoir si vous êtes en état de justifier vos espérances, si vous prétendez vivre d’hallucination ou de réalité, vous abandonner à la drogue de stupeur pour des sensations de vie fictive, ou entrer, le front haut, dans la sereine acceptation d’un effort pour une supériorité de pleine existence. Faut-il donc tout vous dire ? Cet « Et après » qui vous fait peur, cette ineffable douceur d’un sommeil, sans cauchemar, contre lequel vous réclamez le secours des fantômes, sachez que vous n’en atteindrez le privilège qu’au travers d’implacables jeux de souffrances. Car, ce n’est pas assez, pour moi, de vouloir vous grandir, en dépit de vous-même, aux élans d’un désintéressement supérieur. Je prétends vous mettre face à face avec l’apothéose à rebours que je vous propose hardiment pour fin suprême de votre destinée. Vous qui avez besoin d’un appât pour vous prendre aux plus hautes ambitions de l’intelligence, apprenez, non seulement que je n’ai point de « récompense » à vous offrir, au sens où vous l’entendez, mais que plus s’affirmeront le désintéressement, la noblesse de vos efforts, plus vous aurez de chances d’être honni, conspué, vilipendé, livré aux mains impitoyables des réprobateurs. Ouvrez l’histoire à toutes pages, et dites comment furent accueillis tant de porteurs de lumières en leurs plus beaux élans de généreuses pensées. Évoquez même, si vous trouvez la liberté d’esprit nécessaire, la sublime sérénité de l’adieu de Socrate à ses juges, ou la plainte émouvante du Galiléen !

L’état d’émotivité où s’engendrèrent tant de crimes n’est pas au bout de ses méfaits ? La religion des supplices, que les Espagnols apportèrent si cruellement dans leurs conquêtes américaines, a fini par succomber sous ses aspects les plus affreux. Pourtant, le même fond d’ostracisme demeure dans les hypocrisies modernes de nos répudiations sociales pour cause d’hérésie. Quiconque s’efforce en vue d’une rétribution d’égoïsme, même dans un décor d’altruisme, est un pauvre cœur, aussi bien qu’une médiocre intelligence. Rythmes d’égoïsme et d’altruisme composent nos mouvements d’humanité. Honneur à qui ne tient pas compte de ses peines dans un labeur humanitaire au-dessus de toute rétribution — trop heureux s’il n’en rencontre pas le châtiment.