Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
461
et après ?

ses déchéances. Jadis il espérait, puisqu’il fallait toujours qu’il lui manquât quelque chose. Aujourd’hui, tout se retire de ce qui lui fut magnifiquement accordé. Aucun « beau désespoir » ne le peut secourir. Il a faim, il a froid. Ses ressources sont épuisées. Tout est changé du monde extérieur et de lui-même. Sa meilleure chance est que ses réactions de sensibilité, engourdies de régressions organiques, lui procurent un état d’apathie qui le fasse indifférent aux dernières palpitations de sa destinée. Un nouveau monstre d’inconnu se dresse devant lui, le presse de ses fureurs à tous moments croissantes, auxquelles il ne peut répondre que par des décroissances d’énergies. Il connaît enfin le sort que sa race a délibérément imposé à tant d’autres. Il se débat, à son tour, sous la loi du plus fort. De l’universelle bataille pour la vie il lui aura été donné de parcourir émotivement le cycle tout entier.


Vivre d’hallucination ou de réalité.


Il me sera permis d’écarter, de parti-pris, la fameuse question de la fin du monde au sens où l’entendaient les chrétiens de l’an mil. L’Inde avait mis son Brahma, sous la domination du « Brahman », dans un cycle démesuré où la durée rejoignait la durée. Au lieu d’une création ex nihilo, le monde nous offrait un spectacle d’émanations successives. Insoucieux d’une âme éternelle, les Juifs se contentaient du mal et du bien sur la terre. Chargés des écritures d’Israël, en un temps où les prophètes pouvaient tout se permettre, et reconnaissant que, pour l’heure, le sacrifice du Golgotha n’avait rien changé de la vie humaine, les chrétiens voulaient une « fin du monde » après laquelle Jésus triompherait enfin. Avant l’Apocalypse de saint Jean, il y en eut d’autres d’une même inspiration, au titre de prophéties. Rien n’est plus simple que de prophétiser, quand la vérification est indéfiniment ajournée. La difficulté est d’observer, dans cette liberté de critique honnie par l’Église, sous le contrôle de l’expérience à tout moment.