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et après ?

L’homme évolue : la démonstration en est surabondante. En quelles formes, par quels passages et dans quelles directions ? Le débat là-dessus peut se donner carrière. Les observations vérifiées feront surgir des clairières dans les fourrés de l’inconnu. Mais il ne s’agit pas seulement de faire apparaître des îlots de connaissance. Encore faut-il y ajuster des correspondances d’interprétations enchaînées, avec les justes retentissements d’émotivités qui en font le couronnement. On n’empêchera pas que le jour n’arrive où de décisives cohérences exigeront d’autres généralisations que les jeux de métaphysique où l’homme s’est perdu si longtemps. Nous n’en sommes qu’à l’aurore de la révolution mentale qui fera quelque jour resplendir émotivement le triomphe de la connaissance positive. En attendant, la décision du laboratoire continuera de déconcerter la foule ataviquement retenue dans le mystère des troubles émotifs d’où la vie déjà s’est retirée.

Le gouvernement de l’univers par un psychisme de volontés supérieures, incompatible avec l’inflexibilité des évolutions de rapports, est la première de ces notions préconçues où la timidité des intelligences s’obstine le plus opiniâtrement par l’accoutumance des cultures d’émotions qui en sont dérivées. Sans ses Dieux coutumiers — guides parfois trompeurs, il est vrai, mais compagnons de route — l’homme se voit perdu dans la nuit des choses. Les Dieux sont, au moins, des interlocuteurs. N’aurons-nous plus vers qui clamer ? N’est-ce pas un soulagement de demander, d’attendre, d’espérer contre l’espérance, d’avoir au moins vécu de paroles, si les faits nous sont refusés ?

Il faut d’autres hommes, en effet, pour vivre la destinée comme nous la révèle l’investigation positive du Cosmos. Il faut d’autres cerveaux pour s’assimiler directement les réactions élémentaires qui font les phénomènes. Il faut d’autres cœurs pour affronter le monde sans trembler. En attendant que l’évolution nous donne cette humanité nouvelle, par la vertu des répétitions de l’effort, quiconque est pris de peur s’enfuie sous l’aile de sa Divinité. Qui veut être homme, au plus noble sens du mot, se forgera lui-même sa bonne armure avant de se présenter au combat. L’intelligence évoluée aura-t-elle donc aujourd’hui moins d’héroïques soldats, que les faiblesses d’entendement des premiers âges ? Chrétiens et hérétiques de tous noms