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au soir de la pensée

tures endolories qui cherchent la fin de leurs misères, et veulent héréditairement conclure à autre chose qu’à un satisfecit de leur présente condition. Dans le fond des consciences, les constructions doctrinales ne sont là qu’un appoint aux jouissances d’émotivités. Ce qui a résisté, de tous temps, aux critiques les plus acérées, aux démonstrations d’expérience les plus solidement établies, c’est l’invincible appel à un autre état que celui qui nous fut conféré. Telle qu’elle se présente, la rencontre des positivités de l’homme et du Cosmos ne suffit pas aux esprits titubants que le rêve des premiers âges a projetés d’abord au delà des impassibles réalités.

Nous abandonnerons-nous donc au rêve pour l’accomplissement de notre fortune humaine ? Nous laisserons-nous séduire par les flottantes fictions qui nous appellent de l’infinité des abîmes célestes aux chances d’un bonheur éternellement fixé ? Qui refuserait de courir ses risques ?

— Quoi donc ! grondera le timide, des autorités de magie s’accordent à me dire porteur d’un bon billet à la loterie des félicités éternelles, et, sans sourciller, vous me proposez de le troquer contre une simple contremarque du gouffre sans fond d’où je ne serais sorti que pour y retourner ? Gardez vos démonstrations, je vous prie, sur lesquelles il est toujours possible de discuter, et laissez-moi la fortune, même douteuse, d’une expectative de bonheur à réaliser. Vous me parlez d’un cycle. Le serpent qui se mord la queue. Belle affaire ! Que puis-je perdre à me tromper ? J’aurai, du moins, vécu dans l’attente d’une apothéose. Et si mon espérance doit être déçue, je n’aurai même pas le chagrin de m’en apercevoir.

Assurément, la connaissance positive renonce à nous tenter de joies surnaturelles, selon l’héréditaire obsession du rêve primitif qui voulut le monde conforme aux besoins de notre subjectivité. Ce qu’elle gagne en positivité laborieuse, notre « science » le perd en puissance de séduction sur les foules, moins désireuses d’être instruites que charmées. Les fictions de notre imagination aberrante ne peuvent s’installer au cœur des jalonnements de connaissances positives que notre incoercible besoin de savoir doit progressivement instituer. L’incohérence ne peut être que d’un temps. La connaissance libère aussi sûrement que l’ignorance asservit.