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La civilisation

vitrines de nos musées. Cela nous dit le principal de ce que nous avons besoin de savoir des aïeux pour nous guérir des fabrications de fausses généalogies. Tu es l’incivilisé en qui le « civilisé » doit reconnaître son ancêtre, comme le plus beau féodal a dû faire pour l’antique artisan de sa lignée. De ton seul aspect tu nous ramènes aux lois cosmiques de la descendance, en dehors des fictions ou notre vantardise d’incompréhension s’était épanouie. Le magnifique décor de notre civilisation n’est pas sans avoir abusé le coryphée, spectateur de sa propre comédie, comme si le courage le plus difficile était de nous reconnaître simplement pour ce que nous sommes nés. Notre imagination, sans doute, permet, ou même commande une touche d’illusion dont la part est malaisée à reconnaître. Il ne faut pas que notre petitesse en tire trop d’avantages. Soyons de l’homme tout ce que nous en pouvons être, au risque de vouloir plus que ce qu’il nous est possible d’en réaliser.

Par toi, Père, s’ajustent dans leurs proportions positives les éléments des choses. En ton auguste compagnie nous retrouvons la terre ferme qui nous manque dans l’empyrée. Tu nous apportes le mètre de notre existence. Comme le spectre paternel rappelant le devoir à Hamlet oublieux, tu nous auras soutenus de ta présence dans les jours périlleux ou la chimère divine nous avait emportés trop loin de l’orbite solaire, au delà même de Véga. L’heure des grandes aberrations séculaires est peut-être passée. Il se peut aussi que d’autres leur succèdent. Parfois, sur ton exemple, je me suis trouvé capable de patienter.

Ce qui est, est ; et, de ce qui est, je suis. Je suis, quelque part, un atome de quelque chose qui passe. J’ai, sur d’autres moments du Cosmos, l’avantage de sentir, de savoir ce qui m’arrive et d’en pouvoir raisonner sur documents de positivité pour atténuer mes maux et ceux de mes semblables, en leur procurant même, s’ils se montrent dignes d’apprendre, des éclairs de félicités. Le vrai « civilisé » de tous les temps et de tous les pays sera celui qui saura se maîtriser, s’ordonner, pour consacrer toujours plus de lui-même a l’œuvre qui le dépasse, sans rien attendre des hommes ni des Dieux.