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au soir de la pensée

donné de tous, accepta de mourir à Calaurie, renié même par ses Dieux qui, jusque dans leur temple, le livraient au Macédonien.

Les Barbares n’avaient plus qu’à paraître. Des premiers âges de l’Église, à travers les sombres convulsions du Moyen Age, la longue régression fit son œuvre, jusqu’à la Renaissance de la pensée hellénique, par la vertu de laquelle la civilisation supérieure put reprendre son cours. Je n’oserais dire que le spectacle d’autres régressions ne nous sera pas donné. Cependant, après la terrible épreuve des gouvernements chrétiens d’auto-da-fé, la pensée triomphante a conquis des territoires d’où rien ne pourra plus la déloger.

— Donc, prends ta bonne hache de pierre, homme du quaternaire, qui peut-être ne fus pas même jugé digne d’un nom. Avant d’avoir pu rien connaître de toi-même, va, jette-toi hardiment aux périlleux fourrés de la vie pour débroussailler les abords de cette « civilisation » à venir où ton évolution t’entraîne, mais que tu ne verras pas et qui s’obstinera longtemps à t’ignorer. Tes joies seront d’un éclair, et sans merci tes longues douleurs. Tu ne pourras même soupçonner à quels accomplissements tu conduis, yeux fermés, une postérité lointaine qui, se disant « civilisés », te tiendra superbement pour un sauvage à ne pas fréquenter. D’instinct, fais ta noblesse personnelle de ta profonde puissance d’avenir aux prises avec l’inexorable univers qui promet tout et passe, sans avoir donné mieux que le temps d’un rêve éphémère. Lève la tête vers ce soleil qui a mis tes ancêtres debout pour des contentements de fierté. Marche aux lumières de la voûte bleue, comme le prophète à la conquête d’une terre-promise qu’il ne devait pas voir. Moi, né de toi, qui ne suis rien, et qui vais voir se dissoudre ce rien tout à l’heure, je te convie au sacrifice, sans peur, des rêves de la « sauvagerie », pour un idéal de « civilisation » lointaine où ta vaniteuse descendance mettra plus de paroles que de réalités. Il faut bien que, dès les premiers âges, tu te sois senti brûler d’une flamme d’« idéalisme » », puisque ton sort sera d’en avoir inauguré les clartés.

Ce que je révère en toi, c’est la belle force de la nature qui n’a pas eu besoin de fictions pour la tentative d’un effort au-dessus de tes moyens. je t’envie pour ton heureuse fortune d’échapper aux hallucinations des mots, par le charme de ton silence. Je ne connais de toi que des fragments de boîtes crâniennes aux