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et énergie ne nous offrent que des entités de métaphysique par le jeu desquelles nous nous essayons aux constructions interprétatives des activités de l’univers[1].

Le grain de lumière devenu projectile de lumière, l’électron devenu atome d’électricité, et la disparition inattendue de la masse atomique qui nous laisse face à face avec tous les problèmes de l’éther, sont des indications de la voie nouvelle où l’audace du physicien pourra s’exercer. On en trouvera le catalogue, ainsi que la discussion des hypothèses de positivité y afférentes, dans le remarquable ouvrage de M. Louis Rougier : la Matérialisation de l’énergie. Le point principal de l’auteur est que la matière se trouvant « douée de masse, de poids en proportion, et de structure, tandis que l’énergie n’a ni inertie, ni poids, ni structure », il s’agit de savoir comment ils pourront agir l’un sur l’autre ? Par la théorie de la relativité d’Einstein, par la théorie des quanta de Planck, M. Rougier va doter l’énergie de tout ce qui lui a manqué jusqu’à ce jour — masse, inertie, structure — moyennant quoi le problème de l’interaction sera résolu. C’est ce qu’il appelle « la matérialisation de l’énergie ». Ainsi le principe serait sauvé : point d’énergie sans matière, point de matière sans énergie. Il faudrait donc réformer le vice du langage qui nous imposa deux noms différents pour un même objet. M. Rougier ne va pas jusque-là[2].

Dans le même esprit, les plus grands physiciens ont tour à tour entrepris la réduction de la force à la masse et de la masse à la force sans d’appréciables résultats. Un très notable effort se rencontre pourtant dans l’énergétique d’Ostwald qui prononce : « En dehors du temps et de l’espace, l’énergie est la seule grandeur commune à tous les ordres de phénomènes. » Et encore : « Nous ne connaissons de la réalité extérieure que des échanges d’énergie et tous les phénomènes physiques peuvent se décrire en termes d’énergie… » « Si bien que le concept de la matière se

  1. Pour abréger, je ne dis rien de l’inertie, conçue comme résistance au mouvement, et qui pourrait n’être, en somme, qu’une forme ultime de la moindre action.
  2. Cependant, puisque son opération consiste à rendre à la matière et à l’énergie ce dont leur séparation les avait privées comme le titre même de l’ouvrage le prouve, il ne semble pas qu’on puisse demeurer plus longtemps dans l’indécision.