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rien tirer de ses inutiles succès. Le noble Périclès, qui déchaîna la criminelle guerre du Péloponèse et la conduisit déplorablement à l’issue dont la Grèce devait mourir, Périclès que la peste sauva de la ciguë, résume, en des gestes de belle harmonie, le merveilleux développement d’une histoire sans lendemain jusqu’aux reprises d’une rénovation chrétienne d’Asie. Auguste, l’empereur comédien, couvert de sang, ouvre toutes grandes, par des manœuvres de génie, les portes de la pire décadence avec la basse complicité du peuple romain. Le faste de Louis XIV, dominateur aussi appliqué qu’insuffisant, qui va déchaîner les sanglantes réactions de 1793, sera jeté dans la balance avec ses frénésies de piété barbare. Napoléon sachant très bien qu’il tombe de la neige en Russie, y précipite ses soldats pour passer plus vite d’Austerlitz à Sainte-Hélène.

Et tous ces événements, déterminés par les maîtres éphémères de l’heure qui pétrissent les peuples selon des passages de sagesse ou de témérité, de bon et de mauvais vouloir diversement confondus, c’est la chaîne d’un développement de belles paroles et de sombres violences où Bossuet a voulu voir l’effet d’une divine cohérence, et où nous ne pouvons découvrir que des chocs hasardeux d’évolutions contrariées. Faites naître Napoléon quelques années plus tôt ou plus tard, et tout le décor, et tout le drame du jour s’en trouveront changés. N’a-t-il pas fallu, pour cette invraisemblable histoire, la rencontre des défaillances du Directoire et de l’explosif accumulé dans la boîte crânienne du vainqueur de Marengo ? Fatigué de lui-même, le peuple « révolutionnaire » se plia, sans résistance, à toutes les bassesses qui s’offrirent sous le talon victorieux. Quand Louis XVI ou Robespierre étaient conduits à l’échafaud, ils croisèrent des passants qui leur firent probablement l’honneur de lever la tête au passage, pour retomber tout aussitôt dans l’inertie fataliste par laquelle ils apportaient leur part de collaboration à une œuvre inconnue, sans s’interroger sur la suite d’événements qui les avait conduits de la Fédération du Champ-de-Mars à la guillotine en permanence, en attendant le couronnement de l’Empereur à Notre-Dame et le coup de massue de Waterloo.

Toutes les splendeurs dont nous sommes si fiers et toutes ces douleurs dont nous geignons si haut, et toutes ces vaillances de suprême noblesse, et tous ces renoncements d’abjec-