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au soir de la pensée

état inconnu de civilisation superpithécanthropique en taillant, en polissant des silex pour outils d’une industrie dont l’évolution a produit tant de merveilles ? Déjà un sentiment de la ligne et des formes leur apparut, puisque dès le début de la taille, ils se laissèrent prendre aux amorces de la civilisation par la beauté de la matière et des proportions de l’objet. L’art qui n’a pas produit moins de miracles que l’industrie, en ses délicates recherches des harmonies de la sonorité, de la ligne, de la forme et de la couleur, se trouve ainsi remonter aux premières manifestations de l’être qui mènera de front la poursuite de la connaissance humaine et la consolidation d’un rêve de beauté. Qui sait quelle esthétique de lui-même et des choses incita le pithécanthrope humanisé à articuler ses cris rauques en des notations propres à devenir évolutivement le langage de Platon ? Il y avait déjà une assez belle tension d’idéalisme dans les tropismes automatiques de l’amour manifestés dans les chants de l’oiseau, et jusque dans la fleur, ardente à porter témoignage d’une exaltation des profondeurs.

Tout au long du phénomène évolutif, l’idéalisme de civilisation se caractérise par les mouvements de nos annales où nous ne cessons de prétendre, par les voies de la violence, à un final apaisement. Qu’on ne s’étonne pas trop des résultats contradictoires. Grandeurs et décadences sont les rythmes alternés d’un effort de vie civilisée qui harcèle, fatigue, et souvent décourage les imaginations toujours anxieuses d’accomplissements supérieurs.

L’Asie, débordant sur l’Europe orientale, engendra des états d’émotivités où la barbarie des dominations sanglantes s’accompagnait d’une impuissance de réalisations continues, sous les auspices des mythes créés à l’image de ses rêveries. La Grèce, trop asiatique encore pour pouvoir se fixer dans une évolution du mol et subtil Ionien, ou du Dorien d’énergie concentrée, la Grèce, sous la main rigide du Romain qu’elle tenta vainement d’assouplir, au cours de sa propre défaite, n’aboutit à travers Varron, Lucrèce, Cicéron, Virgile, Horace, Tite-Live, Ovide, Sénèque, Tacite, Trajan, Pline, Adrien, Marc-Aurèle, Julien, qu’aux dégradations finales de Byzance.

Quelque chose de la Grèce vit encore et vivra longtemps dans l’asile inviolable de nos émotions, de nos pensées les plus