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d’intérêts sociaux qui réclament tout ce qu’ils osent au delà de ce qui leur est dû. Les oligarchies de démocratie ne paraissent pas, jusqu’à ce jour, destinées à sortir de ce cadre fatal. Si incohérents qu’ils soient, le Fascisme et les Soviets, simples gouvernements de force brutale, dont le principal caractère est de n’avoir pas même de théorie, montrent à quel point de désarroi intellectuel peuvent en venir les peuples aux mains d’oligarchies populaires. Cependant, l’évolution par quanta d’énergie, selon la doctrine moderne, s’accomplit selon des rythmes, tantôt accélérés et tantôt retardés, des puissances élémentaires. Gouvernements et peuples réagissent les uns sur les autres, se font, en attendant ils ne savent quoi, des installations de fortune auxquelles on trouvera des dénominations nouvelles pour d’ineffables retours aux incohérences du passé. Il y a des secousses sismiques de l’homme aussi bien que de sa planète.

À considérer le cours de l’histoire à travers tant de heurts sanglants, n’est-il pas encourageant de penser que des sommes de réalisations heureuses pourront, sans doute, être obtenues des organisations sociales de l’avenir, après toutes déceptions convenables. Car tous les gouvernements tendent au développement de leur idéologie, si embarrassée qu’elle puisse être des coalitions d’intérêts différents. Les autocraties et leurs oligarchies ont décidément fait faillite. Sous des formes variées, les oligarchies de démocratie sont généralement à l’essai. Aux abus de l’autorité personnelle elles opposent encore les abus d’un anonymat irresponsable sous des termes de responsabilité. Rythmes d’évolutions, d’une amplitude inconnue, où se prodiguent les efforts de patience que l’homme éphémère doit à des développements dont il ne connaît pas l’issue. Il faut surtout l’épreuve du temps pour caractériser nos essais d’empirisme doctriné, et le temps ne se laisse pas réduire à nos convenances. Plaintes, prières, convulsions ne changeront pas les destinées.

J’ai dit que le meilleur gouvernement sera celui qui consacrera ses efforts aux développements de l’individu, facteur décisif de tous progrès de civilisation[1]. Seulement, il ne

  1. Il n’en peut être autrement puisqu’une composition d’évolutions individuelles est à la base de l’évolution générale. Le malheur est que les évolutions