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au soir de la pensée

nous a permis d’expliquer les modestes résultats des gouvernements majoritaires[1]. Je n’ignore pas que l’élan des hautes émotivités, aux heures décisives, peut réparer, plus tard, les fautes réparables. Mais les plus belles émotions n’ont qu’un temps, et les défaillances d’hier iront rejoindre, pour un compte indéterminé, les fléchissements de demain. Dans une tumultueuse confusion de sentiments, de pensées, d’actes, souvent contradictoires, notre évolution organique nous permettra de dégager péniblement des lueurs temporaires d’un progrès tangible de notre « civilisation ». C’est où nous mettons la simplicité de notre orgueil. Précieuse en cela, même après tant d’écarts, nous est l’idéologie — c’est-à-dire la poursuite d’une idée hors des conditions positives — puisque nous lui sommes redevables du désintéressement qui nous emporte au delà de nous-mêmes dans les resplendissantes fantasmagories de l’inconnu.

Ce serait trop beau si la terre, retrouvée, ne gâtait rien de cette magnificence. Nous avons assez vu que l’antique empreinte d’atavisme ne se laisse pas aisément effacer. Quel malheureux voudrait de la sagesse, sans un grain de folie ? Tout compte fait, à travers maux et joies, nous pouvons, sans trop de disgrâce, contempler le chemin parcouru. Peut-être même n’avons-nous pas lieu de nous plaindre si la phraséologie doit demeurer toujours plus belle que la réalité. Nous nous devons à nous-mêmes, cependant, de ne pas oublier que l’acte seul compte pour l’efficacité, et que la gloire des mots n’est trop souvent qu’un déguisement de passivité. Des balances de l’autorité et de la liberté, la sensation nous vient que leurs rythmes font notre destinée. Pas de civilisation sans un fondement d’espérances où se règle la fortune de nos déceptivités. Des régimes qui entreprennent d’arbitrer, sous des formes diverses, entre l’ordre social et les libérations de l’individu, je n’ai qu’un mot à dire, car nos civilisations approximatives

  1. rompent dans l’exercice du pouvoir, tandis que les minorités, dignes de ce nom se redressent et se fortifient par l’opposition. Rien de plus démoralisant que les ententes d’intérêts communs (ouvertes on secrètes) des majorités et des minorités en vue de fins particulières. (1) Il reste aussi pour point de comparaison les dérèglements de l’absolutisme qui produisent les révolutions, contagieuses de peuple à peuple dans les complexités des mécontentements.