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La civilisation

aggravée s’il était commis envers un membre d’une caste supérieure. Primitive notion d’un « droit » d’iniquité. Avec notre triade révolutionnaire, il semblait, enfin, qu’on eût en mains la clef d’un ordre supérieur, susceptible de pourvoir à toutes les conditions d’une vie sociale organisée. Forum et jus, un texte de justice et des juges, avec le droit de défense, demandait le Romain. Les empereurs vous diront ce qu’ils ont pu faire impunément de la conscience humaine. Nous avons des « constitutions », des lois de « libération », rigoureusement sévères, et de Moscou à Rome, à Madrid, en ce moment même, chacun se vante de jeter tout cela au barathre de l’histoire, sans que personne paraisse en prendre souci, sinon pour acclamer le vieux renouveau d’un régime de violences exacerbées hors des moyennes anticipations d’un lendemain.

Nous avons des traités. Et l’Allemagne, au moment de l’épreuve, après n’y avoir voulu voir que chiffon de papier, trouve tout aussitôt des « hommes d’État », victimes de son reniement de la foi jurée, pour des conventions d’idéologie à la valeur desquelles chacun paraît attacher ridiculement le plus grand prix. Nous avons des codes, avec des bibliothèques de commentaires, des arrêts de « justice », avec tous moyens de réformes savamment prévus. Sous les yeux du public, que devient le droit doctrinal dans l’application ? Les coups d’État, les révolutions se succèdent, et « l’opinion publique » elle-même, à certaines heures, ne se cherche même pas de peur de se trouver.

De liberté véritable, on n’en pourrait rencontrer que chez la Divinité qui, obsédée d’implorations, s’emploierait aux médiocres fins de nos prières compliquant la liberté divine d’une liberté humaine qui en est la contradiction. Dans les rapports de la Divinité à l’homme, l’imagination a pu se prêter à toutes les fantaisies. Pour les rapports des hommes entre eux, il a fallu des « lois »[1], des lois humaines à la fortune des capacités intellectuelles de ceux que des établissements de force ont institués passagèrement « législateurs ». L’humanité n’a plus qu’à obéir sous peine de sévices prévus. A chacun de juger, selon le moindre

  1. Ces « lois » sont des énoncés de force institués par la coutume, et fixés dans des règles plus ou moins équitablement conçues et appliquées.