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La civilisation

par laquelle notre vie s’achèverait d’un étonnement de nous regarder vivre autrement que nous n’avions accoutumé. Dans l’impossibilité ou je me trouve de noter successivement toutes les formes des activités sociales qui se conjuguent ou s’opposent en facteurs de civilisation, je me borne à de brèves remarques dont le lecteur peut inférer des tableaux familiers.

je mentionnerai simplement pour mémoire le problème de l’appropriation individuelle qui, dans le monde moderne, a si fort exercé les esprits. La redoutable question du tien et du mien se découvre à l’origine des premières rencontres sociales du fort et du faible. ]usqu’ici, le cas de la polygamie, comme le fait de la guerre, nous ont conduits à des éléments irréductibles. De même l’appropriation individuelle du sol (résultat d’un fait de force) au profit d’une domination d’oligarchie possédante sur une plèbe plus ou moins asservie. Cependant, l’égale répartition du sol entre individus serait toujours à reprendre sans permettre aucune continuité d’exploitation, pour ne rien dire d’une éternelle insuffisance de résultats. La mise en communauté, solution idéologique par excellence, aboutirait à l’énervement, à la suppression de toutes les initiatives[1]. Cela ne saurait arrêter primaires ni rhéteurs. Il n’est pas interdit de penser que nous arriverons progressivement à des solutions approchées.

Le temps paraît venu, en tout cas, de comprendre qu’action et réaction ne se peuvent disjoindre, et que toute activité rationnelle appliquée a l’appropriation industrialisée du sol peut être heureuse ou funeste pour l’ensemble, selon l’ordre de ses développements. Pourquoi barrerait-on la route au libre emploi des initiatives, dans l’espoir que des fonctionnaires irresponsables en pourraient faire idéologiquement un meilleur usage que des individus directement intéressés ? Le succès social est dans la bonne règle des énergies, non dans un machinisme automatique aboutissant aux diminutions de l’individu. La propriété individuelle a déjà subi et appellera sans doute encore d’innombrables transformations. Elle trouve déja d’heureux contrepoids dans

  1. Voyez les effets de l’administration napoléonienne dont nous sommes si fiers. Développement des fonctionnaires, apathie des citoyens.