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mais les réalités de son émancipation profonde sont encore à venir. Il n’y paraît que trop aux bagnes d’abjection ou la bestialité de l’homme se plaît à la confiner pour l’ultime dégradation des deux parties. On ne peut nier que le mâle soit principalement responsable des dégradations de la femme qui y apporte, au moins le concours de sa passivité.

L’époux, le père était hier, et est encore, dans maints pays, le despote qui ne doit pas de comptes. Il a conservé, même chez nous, des parties de maîtrise, qui peuvent parfois s’expliquer par les incertitudes d’une évolution féminine retardée. Ce n’est pas tout d’émanciper, par décret, la créature asservie. Il faut encore l’avoir mise en état de se gouverner elle-même sans briser les ressorts d’une vie sociale ordonnée. Voyez ce qui arrive en Russie où les bourreaux du Tsar sont simplement remplacés, à cette heure, par les bourreaux de l’idéologie. Mêmes spectacles de notre Révolution faisant succéder la guillotine aux supplices de la place de Grève. La répudiation, jadis de pratique courante à Rome, est présentement remplacée, dans notre pays, par le divorce égalitaire offrant mêmes inconvénients et mêmes avantages aux deux parties. Caton exposait sa fille à sa porte. Le Chinois jette encore sa fille à la voirie, tandis que par l’accomplissement de ses devoirs familiaux, par l’élévation de ses sentiments, par les progrès de sa culture, la femme civilisée, souveraine du foyer, marche à l’affermissement d’une dignité supérieure.

L’épouse, prêtresse du feu familial, s’enorgueillit de se subordonner à la mère pour l’accomplissement d’un sacrifice total au profit d’une progéniture qui souvent n’en comprendra la grandeur qu’après avoir souffert elle-même d’un insuffisant retour d’affectivité. C’est la mère qui, avant l’homme, plaidera pour les droits de l’enfant, et saura les faire valoir d’une ardeur que rien ne pourra décourager. C’est la mère qui fera honte à l’époux, dont l’égoïsme, engagé dans les combats de la vie, négligera parfois ses devoirs de protection. C’est la mère qui affrontera tous ennemis de sa progéniture sans s’arrêter toujours aux misères de savoir qui peut avoir tort ou raison dans des contestations embrouillées. La mère, trop souvent délaissée, martyrisée, oubliera tout ce qui n’est pas d’une offrande d’elle-même sans demander même le geste filial dont elle n’a pas besoin pour