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La civilisation


Les forts et les faibles.


L’effort d’évolution civilisée étant d’une transformation d’habitudes acquises en des habitudes d’une accommodation supérieure de tous et de chacun, la valeur effective des équitables compositions d’intérêts que nous dénommons « droits » sera l’indice certain de l’idéalisme d’une civilisation. Avant même d’atteindre à la conception d’une puissance intrinsèque de « droit » dans les rapports des humains, la constitution fondamentale de la famille exige un statut, tacite ou formulé, de la femme et de l’enfant. Nous devons trouver là, sous des formes diverses, un premier mètre de « vie civilisée ».

Pour réagir sur la psychologie du trop fort, il faut d’abord essayer de saisir l’état de mentalité du trop faible. Chacun sait que la souveraineté du plus fort a d’abord fait de la femme une marchandise qu’un concours de dépravations a conduite au dernier terme de l’avilissement. L’Orient nous a donné, à cet égard, des spectacles trop significatifs que l’Occident s’est appropriés au hasard des circonstances. La séquestration de la femme, avec l’accompagnement de la castration des gardiens, et les tortures que le meilleur chef de famille, en Chine, ne craint pas d’infliger à sa fille pour lui rendre la marche impossible, sont de vivants prolongements d’un cruel passé dans le verbalisme fastueux du présent.

La surprise n’est pas que l’homme primitif se soit montré barbare. Ce qui peut étonner à bon droit, c’est que sa civilisation, tant vantée, concilie ses raffinements d’égoïsme implacable avec ses non moins vifs raffinements de vie policée. L’ancien esclavage de la femme a perdu ses formes les plus brutales[1],

  1. On en retrouve encore la trace dans les anneaux (jadis d’attache) dont elle fait l’ornement de son cou, de ses bras, de ses doigts, de ses jambes, de ses orteils, de ses oreilles, de son nez, de ses lèvres, ainsi que Herbert Spencer l’a fort bien remarqué.