Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
La civilisation

matière, est l’heure, fatalement hasardeuse, de l’exécution. « L’heure psychologique » où le salut public est en cause, où tout prétexte est bon pour ne pas tenir un engagement onéreux ; Qu’arrivera-t-il de la partie qui, de bonne foi se sera laissé désarmer ? Pour ce qui est de la puissance intrinsèque des sentiments de justice, ai-je rêvé d’un partage de la Pologne entre trois souverains sans scrupule, et de l’envahissement par l’Allemagne de la Belgique dont elle avait garanti la neutralité ? Quelle sanction, je vous prie ? La Fontaine l’a dit du lion imprudent : « On lâcha sur lui quelques chiens »…

On ne peut pas le nier. C’est la guerre qui a créé les peuples par la détermination des patries. Le plus sûr n’est-il pas dans une bonne défensive ? Mais qui peut garantir qu’un jour ne viendra pas où l’offensive sera jugée simple hardiesse de défensive ? N’aurions-nous donc de garanties d’aucun côté ? À quoi bon se mentir à soi-même ? Pourquoi jouer le tout pour le tout sur la carte de l’idéologie ? Les signataires du pacte international n’ont pas la même histoire, ni le même état de culture. Si des intérêts opposés les sollicitent dans un autre sens que le droit établi, faudra-t-il donc que la voix prépondérante d’un État insuffisamment policé décide du sort d’un des grands peuples de l’histoire contre qui sa grandeur même aura réuni trop de voix intéressées ? Encore, ai-je supposé que toutes les puissances militaires participeraient loyalement au pacte. Sinon, rien de fait[1].

Faut-il enfin parler des sanctions sans lesquelles croulerait tout le fragile édifice d’une idéologie d’universelle équité ? C’est le point décisif qu’on s’est bien gardé d’aborder jusqu’ici, et pour cause. Par le désarmement général on ne demanderait rien de moins que l’abdication de leur indépendance aux grandes nations qui ont jusqu’ici gouverné le monde en lui imposant plus ou moins ouvertement leurs volontés profitables. Les peuples qui ont en main de grandes forces militaires sur terre ou sur mer consentiront difficilement à s’en servir pour acheter, de leur or

  1. Le tribunal d’arbitrage international, sur l’emploi duquel il n’est plus permis de se faire illusion, avait paru d’une pratique plus aisée. Cependant, il n’est pas plus efficace, comme on en a pu juger par les guerres qui ont suivi son établissement, sans qu’on s’avisât de recourir à ses bons offices.