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au soir de la pensée

avec les pâles conciliabules où s’élabore, dans un faste de verbalisme, une paix de « chiffons de papier. »

Me dira-t-on qu’il peut y avoir des avantages à mettre dans la vie des peuples une part d’illusion ? Cela me paraît fort contestable. Ici le jeu ne serait pas sans danger, car l’agresseur pourrait se trouver le seul en état de préparation. Les garanties sont-elles équivalentes, quand l’une des parties, naguère, reniait effrontément sa signature devant le monde civilisé ? Le dernier banquier ouvrirait-il un nouveau crédit au client qui, hier encore, se faisait gloire d’avoir manqué à ses engagements envers lui ? C’est à de tels amusements que se risque notre extravagance d’idéologie.

Victoires et défaites, telle fut, depuis les premiers âges, la principale matière des chants de nos poètes, des fictions de nos romanciers, des écrits de nos historiens, des leçons de nos éducateurs les plus renommés. Et je ne m’en étonnerai point, car je ne voudrais pas contester la beauté du mouvement héroïque qui jette l’homme au dévoûment suprême pour la défense de son droit au foyer, à l’indépendance auguste de sa patrie, à la sauvegarde du statut de sa dignité. Il tue, mais il offre, en même temps, le sacrifice de sa vie, de ses plus belles espérances pour la cause qui l’élève au-dessus d’une destinée où défaillances et triomphes se succèdent à la chance des événements.

Tantôt la victoire sera le point de départ d’une course à la domination aux dépens de coalitions ennemies, tantôt les manquements qui font obstacle aux coordinations d’activités continues produiront d’inattendues déchéances. De même des défaites pourront, selon le cas, produire les plus belles réactions de victoire ou consommer l’irréparable épuisement des énergies. Il peut se trouver ainsi des préparations de victoires dans toutes les défaites, des potentiels de défaites dans toutes les victoires. C’est ce qui fait que les formations de l’histoire sont toujours à reprendre, à remettre sur le chantier. Le juste et l’injuste seront tour à tour assurés par la force. Mais la force se déplace à tous moments, aussi bien que l’idéal du droit. Combien d’irréparables mécomptes aux formules de nos rêveries !

Voulons-nous raisonner ? Les graves contractants, rassemblés autour d’une table, n’ignorent pas que le point délicat des traités ou peuples et gouvernements s’engagent, en une telle