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au soir de la pensée

suggérer, en même temps, un surcroît d’adaptations belliqueuses pour défendre nos appropriations, et conquérir, par la force aidée de la ruse, les appropriations d’autrui. Idéalisme de guerre et de paix tout ensemble, venu des temps où la guerre ne se distinguait pas sensiblement de la paix. Des rythmes de guerre et de paix se succéderont tour à tour, accusant de plus en plus la différence des moyens pour d’identiques résultats de violence, ébauches d’une civilisation en devenir.

Du silex taillé, pour un effet d’industrie, à la flèche de chasse ou de guerre, je note les enchaînements inévitables, sans m’arrêter aux conséquences. Il suffit, pour les caractériser, de constater le parallélisme des organisations de paix et des organisations de guerre construisant et détruisant tour à tour, comme en un rythme automatique, les successives ébauches d’une civilisation commencée. Nous ne pouvons, d’abord, que prendre acte de ces soubresauts de violences ouvertes dans la guerre et de violences déguisées dans la paix qui se succèdent à travers les âges, quel que soit l’adoucissement des mœurs par le progrès verbal de la civilisation. Les douceurs de la paix seront accrues. De même les horreurs de la guerre, aggravées des violences prolongées depuis les premiers âges, ai travers les amollissements d’une dépense mieux ordonnée des énergies. Nous n’en aurons pas moins vu, dans des rythmes d’exaltations ethniques, les plus belles floraisons de l’art correspondant aux plus hautes cultures d’intellectualité, se développer sur le même plan que les plus atroces cruautés, aussi bien au temps de la guerre du Péloponèse, qu’aux jours de la Renaissance.

Vous pouvez interroger tous les âges de l’histoire. Vous n’y trouverez que des successions de paix et de guerre parfois difficiles à distinguer, des prédications de charité humaine et des exaltations de barbarie souvent emmêlées. Une fatigue de la guerre imposera la paix. Une impuissance de la paix déclenchera la guerre. Alternatives de durées ou la guerre occupe la place d’honneur dans l’émotivité des peuples la paix n’étant trop souvent qu’une préparation à de nouveaux combats. Les progrès de la paix ont fait surgir des engins de guerre par lesquels l’effet des massacres est indéfiniment multiplié, ce qui nous permet de compter aujourd’hui, par centaines de mille et par millions, les