Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
406
au soir de la pensée

couramment. Je trouve là le vrai nom de notre paix des armes, qui ne sera vraiment qu’une autre forme de guerre, à effets de « retardements ». Je ne m’arrête pas au verbalisme pacifique de la guerre économique, qui accroît aussi bien les ressources de vitalité des forts que les rencontres guerrières où se répand le sang des faibles. Le cas en est trop clair pour permettre une contestation. Il est vrai que, sur le champ de bataille, comme dans les combats de la paix, nous en sommes venus à ramasser, à panser tous blessés. Deux réactions rythmiques qui nous portent, d’un même élan de secours, aux réparations partielles du mal que nous avons consciencieusement causé.

Notre idéologie s’est abondamment exercée sur cet ardu problème, qui a le suprême avantage de tenir la question en suspens dans le trouble des intelligences aussi bien que des émotivités. Qu’il en doive résulter l’abolition des à-coups de violences, je m’en féliciterais, mais j’avoue timidement que cela ne me paraît pas probable. je ne vois pas que la paix du plus fort avec ses traités, «chiffons de papier », ait donné des résultats d’appréciable sûreté. L’institution d’un parlement de la paix[1]ne change rien des appétits inavoués, des combinaisons d’intérêts aux prises, ni des débats d’hypocrisies par lesquels on essaye de les couvrir. A travers des déplacements de force, la paix des armes supérieures continuera de s’imposer longtemps encore, avec ses violences empiriquement maintenues.

Pour des diversions, conquérants et « sauveurs » pourront se présenter : Alexandre, Attila, le Bouddha, Jésus de Nazareth, avec de grands espoirs au compte de ces derniers. L’homme, cependant, restera mis en demeure de se sauver lui-même, à chaque temps de chaque entreprise de paix violemment rompue.

Si la guerre et la paix sont d’une même impulsion de luttes pour la vie, nous ne pouvons, cependant, tirer de la guerre que

  1. A l’heure où j’écris, par exemple, nos « hommes d’État » viennent d’obtenir, à grands frais de paroles, l’entrée de l’Allemagne dans la soi-disant « Société des Nations » où ses engagements auront la même valeur que ceux par lesquels elle avait garanti la neutralité de la Belgique, pour en venir à la violer ouvertement, sans même chercher l’ordinaire ressource des prétextes mensongers