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au soir de la pensée

préhensions confondues, chefs de paroles au vent, chefs d’incohérences, chefs d’action, chefs d’inertie, tous, chefs de biens et de maux en bataille, nous donnent le spectacle, à certaines heures, d’emportements irrépressibles où des éclairs d’intelligence nous font entrevoir un ordre profond de l’univers et de nous-mêmes en un vertige d’accidents.

Pour ce qui est des déterminations humaines, en ce trouble de toutes émotivités, on ne peut s’étonner que les détentes de nos activités organiques s’achèvent, parfois simultanément, en des soubresauts de contradictions. C’est qu’une même loi de nos erreurs et de nos vérités nous ramène à des formes qui ne sont de désordre, à nos yeux, que par la disproportion de nos mesures de temps entre nos évolutions organiques et les évolutions générales ou elles doivent s’insérer. Dans toutes les activités des prétendus chefs (dominés ou dominateurs), comme dans les flottements de la foule, pas un déplacement d’équilibre qui n’ait, avec le temps, sa contrepartie d’une réaction correspondante dans l’ordre des mouvements humains.

Il est rigoureusement impossible qu’un homme au gouvernement ne cède pas, un jour, aux puissances de désarroi. Les plus hautes intelligences se heurtent fatalement à toutes circonstances où l’inconnu a trop d’avantages dans la diversité des fortunes de la vie. Qu’en résulte-t-il, sinon que par toutes voies imprévues, tous événements se composent, en quelque manière, au profit d’un ordre présentement indéterminable, qui pourra, quelque jour, être déterminé. Il le faut bien, puisque, en dépit des plus graves méprises de ceux qui sont, ou croient être, au gouvernement, la fatidique évolution continue son chemin.

En ce cas, diront quelques-uns, pourquoi donc s’efforcer ? Le fatalisme oriental serait-il le dernier mot de la vie ? Quelle raison pour l’homme de se jeter aux dangers de l’action douloureuse, si des péripéties diverses ne peuvent que le conduire aux mêmes résultats ? Qu’importeront les distinctions d’erreurs et de vérités, si les additions du compte sont de finale équivalence ? Pourquoi vivre, si la vie n’est que le vain apprentissage d’une œuvre automatiquement répétée ?

Je ne suis point chargé de justifier le Cosmos, c’est-à-dire d’accommoder la mécanique des astres, aux mouvements de notre sensibilité, qui n’a pas plus de comptes à attendre des