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même, déparée par la défaillance des caractères[1]. Ainsi l’obscure émotivité conservatrice des foules s’accroît avec le nombre pour faire marquer le pas aux nouveautés de la connaissance positive contrôlée. Il en résulte, pour ce qu’on appelle « l’opinion publique », des affaissements d’enthousiasmes ou d’inertie dont les effets éclatent plus ou moins bruyamment. Individuel ou social, l’homme est à la fois pressé et retardataire. Nous sommes d’autant plus excusables de chercher des solutions rapides que nos évolutions veulent des temps hors des mètres de notre vie.

Quant à savoir comment l’humanité pourrait être le plus utilement conduite à l’accomplissement de ses hautes fortunes en expectative, on voudra bien me permettre de ne point m’en embarrasser ici. Il y aurait trop de choses à dire pour l’inutile enseignement de chacun. Je prends acte, à toutes fins, de ce que les autocraties, les oligarchies ont superbement exploité les masses passives en vue d’intérêts de classes, au nom d’une doctrine d’amour désintéressé. La réaction des démocraties fut de faire appel, contre cet exclusivisme, aux naturels représentants de tous les intérêts en cause, plus prompts aux violences de la bataille qu’aux organisations de positivité. Il n’y a plus à cacher, après expérience, les difficultés de réalisation.

Pour se prononcer utilement sur l’intérêt du nombre, il faudrait d’abord que ce nombre (où prédominent les méconnaissances) fût en état d’en juger objectivement, et la thèse invincible de M. Gustave Le Bon, sur l’infériorité de la psychologie des foules, n’a jusqu’ici rencontré personne qui tentât de la réfuter.

Même cas des « représentants » de la foule que des « représentés », avec cette aggravation que la chair est faible et que les tentations de la puissance sont infinies. Il est suggestif à cet égard, que les Soviets et le Fascisme de ce jour attestent, jusque dans le populaire, des sentiments de réaction contre les condamnables routines de nos « oligarchies de démocratie ». Hélas ! Fascisme et Soviétisme ne sont rien qu’une préparation d’empi-

  1. Malheureusement, l’extrême culture universelle ne peut être tenue pour remède efficace parce que les lois les plus révolutionnaires ne nous donneront pas des intelligences également douées. L’égoïsme des majorités en forme de « classes » étayées de tous groupements d’inconscience, et l’amorphisme des minorités plus ou moins révolutionnaires, avec des rythmes de fortune, nous feront l’histoire de notre civilisation.