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La civilisation

Athènes était un champ de pierres, et Rome un taillis habité des loups. Qui nous dira ce qu’elle prépare en ce moment ? Mesurez la route de l’Athènes de Périclès à l’Athènes des déprédations romaines, à la Byzance où viennent aboutir la Grèce d’Alexandre, et la Rome de César, aujourd’hui la Rome du Vatican. Combien de temps l’Allemagne, à l’abri du Rhin, a-t-elle attendu de l’épuisement de la civilisation romaine de jadis, des revanches de la barbarie ? Il faut de ces points de repère pour nous ramener tous à la modestie convenable, sans jamais nous décourager de l’effort. L’impulsion de biologie organique, l’élan de compréhension et de volonté, avec leurs alternances de progressions et de ralentissements, impliquent une ligne de direction où la conscience de l’action en vient à prendre le pas sur le réflexe submergé.

Dans sa Vie psychique des insectes, M. Bouvier nous montre des sociétés animales d’une évolution si lente qu’elles ont pu paraître figées dans des tropismes d’automates. Et, cependant, j’ai déjà noté que dans certaines tribus animales, dans certains individus, même, se révèlent des susceptibilités d’adaptations aux circonstances imprévues, avec une capacité d’en faire des répétitions qui deviendront « habitudes » lamarckiennes par voie d’hérédité. L’insecte peut apprendre, ai-je dit. Il collabore, ainsi, de son propre chef, à son évolution. Il lui faudra beaucoup de temps pour une fixation d’hérédité. Qu’est-ce que nos mètres d’une durée subjective dans le temps, sans mesure, du Cosmos infini ?

À notre tour, nous apprenons, et nous utilisons nos connaissances à nos propres fins d’évolution. Nous ne sommes pas plus libres de ne pas apprendre que de ne pas évoluer, puisque nous ne trouvons là que des moments du même phénomène. Notre civilisation rythmique de progrès et de reculs, dont les composantes varient avec l’heure, se ramène à des rencontres d’hier et d’aujourd’hui en mal de demain. Mais cet « hier » et cet « aujourd’hui », nous commençons à peine d’en avoir la notion. Comment démêler « demain », produit d’inconscience et de conscience confondues dans l’œuvre sans commencement ni fin ?

Nous naissons aux lumières d’une civilisation passagère, comme au régime astral qui se rencontre en notre première journée. Avant que d’ouvrir les yeux, nous nous trouvons chargés d’impulsions ataviques auxquelles un potentiel d’évo-