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La civilisation

succombant sous Philippe et Alexandre. Rome maîtresse du monde, en déliquescence sous les empereurs, incapable de défendre l’Empire contre les hordes de la Germanie. L’indicible décomposition de Byzance. Annibal préparant lui-même sa défaite à Capoue. Le problème de l’homme social est de régler ses rythmes d’énergie en des amplitudes propices aux légitimes développements de lui-même et de tous.

Les nationalités, ou civilisations ethniques, représentent nécessairement des concours de pensées et des correspondances d’émotivités susceptibles de se concréter en de communs efforts qui prédomineront ou seront défaillants, selon les chances de l’histoire. Pour ce qui est de la rivalité des peuples à se devancer les uns les autres, dans la prétendue course à la civilisation qui est d’ordinaire une rivalité de dominations, je voudrais proposer au lecteur d’espérer qu’il en sortira quelque bien. À dire vrai, je n’en suis pas assuré quand je vois des peuples de culture s’acharner dans la démence de conquêtes systématiques qui susciteront tôt ou tard la révolte des peuples opprimés. Le cas est si parfaitement clair qu’il n’est besoin d’aucune précision de pinceau pour une esquisse du temps présent.

Si les rythmes universels, qui se succèdent sans relâche, se trouvaient éternellement égaux d’action et de réaction, l’activité cosmique serait d’un pendule éternel dont les battements marqueraient le compte d’on ne sait quels tressaillements d’immutabilité. Mais la vie cosmique, avec ses spectacles toujours renouvelés, atteste de toutes parts que l’action et la réaction ne sont jamais également compensées, et qu’il s’ensuit des évolutions successives en des cycles indéfiniment développés. Si je connaissais tous les rapports de tous ces cycles, je tiendrais dans ma main la clef de l’univers. Il nous faut laisser cette illusoire fortune à l’aveugle métaphysique, dans les simplicités de son « absolu ». Les plus hautes assimilations du plus vaste entendement humain n’étant jamais que de relativité tous nos « progrès », nous laisseront toujours à une incommensurable distance de l’infinité. N’est-ce donc pas sagesse d’accepter une destinée qui s’impose ? Ou vaut-il mieux s’abandonner à une vie de satisfactions verbales, sans rien vouloir comprendre des rapports du mot et du Cosmos qu’il prétend exprimer ?

Les rythmes de régression ont leurs lois comme les autres,