Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
386
au soir de la pensée

de civilisation en des formes diverses de temps et d’ethnicité.

Le phénomène biologique de la grégarité qui se manifeste avec tant d’éclat dans l’espèce humaine, comme chez beaucoup de vertébrés[1], s’affirme non moins nettement chez certains articulés (abeilles, fourmis) et même dans les organismes les plus élémentaires, comme les coraux. Je ne puis voir dans toutes ces formations sociales que la réaction naturelle de « complexes » supérieurs, en réponse aux universelles activités de l’individuation. Pour parler le langage de nos biologistes modernes, ce sont deux tropismes qui s’opposent, déterminant le monde par l’enchaînement de leurs oscillations, selon des rythmes analogues à ceux du jour et de la nuit, des marées, des saisons, etc., etc. Ces rythmes se retrouvent dans toutes les activités cosmiques, de l’atome aux cycles stellaires, et la vie organique, qui en procède, ne peut, nécessairement, leur échapper[2].

Les cadences rythmées de la continuité cosmique marquent d’un caractère universel les distributions de l’énergie dosées en quanta, selon la théorie de Planck. Nous n’y avions pas suffisamment pris garde jusqu’à ces derniers temps, bien qu’elles abrègent, de moitié par le sommeil, le cours de notre vie consciente. L’aspect de l’univers en est sensiblement affecté. Dans le monde organique, nous ne rencontrons que des composantes biologiques de rythmes enchaînés qui se ramènent à des mouvements d’évolution par l’accélération ou le ralentissement des oscillations. Or, le Moi est variable par excellence, tout en conservant un axe de valeur dû, non pas à une permanence absolue d’entité, mais aux compositions d’hérédité et de variabilité dont il est le produit. Que dirons-nous donc des mouvements sociaux, ethniquement déterminés par d’innombrables Moi en d’infinies complexités de discordances et d’harmonies ?

Comme chez les individus, nous trouvons, dans le cadre social, des manifestations alternées de puissance et de faiblesse, où nous cherchons les lois d’un « progrès » continu. À cet égard, la Grèce et Rome fournissent d’amples matières à notre observation. Les plus grands succès de l’histoire, les pires effondrements des décadences. Athènes victorieuse de Xerxès,

  1. Voyez les bancs de poissons.
  2. Rythmes du cœur, du cerveau, de l’estomac, etc.