Page:Clemenceau - Au soir de la pensée, 1927, Tome 2.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
380
au soir de la pensée

dienne de tous contacts que par la vertu, lentement croissante, d’une moyenne manifestation d’altruisme utilitaire. Il se pourrait même que ce fût là la pierre de touche de la « civilisation ».

Où serait la « civilisation », si nous ne la portions pas, si nous ne la formions pas en nous ? Qu’en faire si nous ne nous trouvions pas en état de nous la communiquer d’homme à homme en vue d’une évolution générale — complexité de l’évolution des individus ? Je ne crois pas qu’il y ait un phénomène plus remarquable dans le monde que cette interaction des intelligences l’une sur l’autre, aboutissant à des réciprocités de déterminations nouvelles, avec les activités qui en sont le résultat. Rien de moins qu’une synthèse d’évolutions coordonnées dont, par les notations de l’histoire, nous pouvons suivre les accomplissements. Quelle que soit la doctrine, la commune satisfaction de l’entr’aide serait le plus beau privilège de l’homme, s’il n’en avait trop souvent abusé pour violenter les convictions. Tel quel, c’est un assez beau spectacle que celui d’états d’émotivités qui se rencontrent pour se conjuguer.

Les animaux ne connaissent, pour la plupart, que des oppositions de sensibilités à résoudre par la loi du plus fort. Les humains, d’émotivités dispersives, aspirent à des conformités mentales qui ne s’obtiennent (en partie) qu’au prix des suprêmes tensions de volontés. Comme l’astre agit sur l’astre à d’énormes distances, comme l’aimant appelle le fer, les états de mentalité humaine se sollicitent partout et toujours pour des réalisations d’harmonies qu’ils n’atteindront jamais complètement. Par de simples émissions de sonorités chargées d’un sens conventionnel, l’individu agira sur la foule et la foule sur l’individu pour le règlement de mouvements sociaux à des fins d’accords ou de contradictions. Complexités d’interprétations hâtives et de penchants héréditaires où se fixer obtusément malgré les démentis de l’expérience, telles sont les dispositions originelles de chacun et de tous en vue d’obtenir, aux rencontres des chances, un équilibre provisoire de connaissances et de méconnaissances mêlées, dites de « sens commun ». On ne s’étonnera pas qu’en cet état d’entendement, le secours de « l’illusion » elle-même ne soit pas à dédaigner.

L’antique prééminence de l’autocratie militaire, jetant de