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La civilisation

remplacer le bûcher par la guillotine en permanence[1]. N’est-ce pas les hommes des temps historiques dont les retentissantes prédications de charité aboutissent surtout à des marchés cultuels en vue d’une récompense d’égoïsme après la mort ? N’est-ce pas l’homme, de tous les temps d’une « civilisation » progressive, qui aggrave les sauvageries croissantes de la guerre, où le plus clair du progrès social aboutit à développer sans mesure l’effusion du sang ?


L’individu et le complexe social.


On pourrait dire qu’il y a autant de « civilisations » que de peuples, chaque groupement social vivant, à sa mesure, les caractéristiques de pensée et d’action dont il se fait une doctrine d’existence. Cependant, les traits généraux du caractère humain emportent une communauté de développements qui réagissent les uns sur les autres, soit parmi les violences de la guerre, soit dans les accommodations de la paix, à l’appel d’un verbalisme d’idéal plié aux communes défaillances. Aussi, devons-nous prendre acte des grandes lignes directrices de l’évolution civilisée, avec ses inévitables retardements de la parole à l’action. En ce sens, l’échange des pensées, de quelque nom qu’on l’appelle — conversation, discussion, lecture, prédication, enseignement — nous apparaît comme le phénomène caractéristique par excellence de l’humanité sociale en évolution. Chacun de nous s’y applique avec ardeur, à tout moment, dans les formes de son intellectualité. Et si la qualité des procédures n’est pas toujours de premier choix, il n’en résulte pas moins un puissant effet d’ensemble, tant par la multiplication quoti-

  1. Le romantisme ordinaire du mot « révolution » uous fait apparaître les bruyants ouvriers d’une société nouvelle en espérance, comme des prodiges de surhumanité. Ce ne sont, pourtant, sous des appellations fastueuses, que de communs exemplaires d’humanité courante. La sanglante Convention fut surtout de gens qui avaient peur. C’est une espèce qui n’est pas perdue.